Arthez-de-Béarn, église de Caubins

Arthez-de-Béarn, Béarn, Gascogne

A moins de deux kilomètres au sud-est du village d’Arthez-de-Béarn (64), sur la route d’Urdès (64), se trouve l’église isolée Saint-Jean de Caubins. Cet édifice est le vestige d’une ancienne commanderie hospitalière fondée au 12e siècle, autour de 1160.

Selon les archives du Grand Prieuré de Toulouse 1, la commanderie de Caubins-Morlaàs se trouvait à la tête des domaines hospitaliers en Béarn. Le commandeur était seigneur spirituel de Caubins et Urdès et percevait une part des dîmes d’Arthez. Il tenait aussi la seigneurie directe sur toute la paroisse de Caubins et en particulier sur le lieu de Castelvièl avec les justices moyenne et basse avec droit de sang. Au 18e siècle, une partie de l’ancien hôpital servait de maison presbytérale, le reste étant déclaré à l’état de masures.

Vestiges de l’ancien hôpital en contrebas du cimetière de Caubins.

Mais le joyaux présent à l’intérieur de l’église est incontestablement l’enfeu de style gothique enfermant le gisant d’un chevalier du 14e siècle.

Il abrite la sépulture d’un seigneur d’Andoins (64), peut-être Arnaud Guilhèm d’Andoins, mort en 1324, si l’on en croit un affichage présent sur place. Un bel écu portant les armes de ce lignage est visible sur le tympan de l’enfeu.

Les seigneurs d’Andoins

Les seigneurs d’Andoins2 apparaissent de façon sûre dès le début du 12e siècle parmi l’entourage des vicomtes de Béarn3. En 1101, Arnaldo de Andongs, miles, est témoin de la donation faite par le vicomte Gaston IV de ses droits sur la ville de Morlaàs au prieuré de Sainte Foi4. Il assiste aussi en 1104 à un accord entre Gaston et le comte d’Armagnac5.

En 1123, es Guilem Od de Andongs qui est témoin d’une restitution du vicomte au prieuré de Morlaàs6. Il faut attendre 1252 pour trouver un autre Guilhèm Ot d’Andoins dans un titre du chapitre d’Oloron7. A partir d’Arnaud Guilhèm d’Andoins, vivant en 1285, et de sa femme Comtors, leur généalogie semble un peu mieux établie8.

Ainsi, nous voyons que ce lignage était un des plus importants du vicomté de Béarn, qui tenait la deuxième place parmi les barons9 de la Cour Majour des vicomtes et s’allia aux plus grandes familles de la féodalité gasconne.

La famille d’Andoins portait un écu « d’or au lion de sinople ». Si la figure du lion est très commune dans l’héraldique gasconne, ces armes sont cependant remarquables, car l’utilisation du sinople dans l’héraldique médiévale occitane est plus qu’exceptionnelle : elle est rarissime !

A notre connaissance, aucun sceau d’un membre du lignage n’a été conservé ou décrit.

Deux représentations dans des armoriaux sont cependant connues. La première apparaît dans l’armorial de Gilles Le Bouvier, daté de 1450-1454, au folio 120v (n°949). Il présente les armes pleines du lignage « d’or au lion de sinople ».

Les armoiries d’Andoins apparaissent aussi dans l’armorial Bershammar, daté des années 1436-1450, au folio 151v (n°2281 de l’édition de J.Raneke)10.

On y voit l’écu de Jean d’Andoins (m jeha dandhoc), qui présente bien un lion de sinople sur champ d’or mais brisé d’un lambel de trois pendants de gueules.

Cette brisure s’explique par le fait qu’au moment de la composition de l’armorial, Jean d’Andoins n’était pas encore chef d’armes de son lignage. En effet, son père Louis d’Andoins a dû naître peu après le mariage de ses parents Jean d’Andoins et Marguerite de Lescun en 140711. Il était certainement encore en vie dans les années 1436-1450 et son fils aîné devait donc encore briser les armes familiales. Sa mère, Catherine de Lomagne, était fille d’Odet de Lomagne, seigneur de Fimarcon (Lagarde-Fimarcon, 32) et de Mathe de Comminges12. Jean naquit probablement vers 1430.

Ce personnage est un peu mieux connu car il participa à la guerre de succession de Foix-Béarn13, après la mort du jeune comte François Fébus, possiblement empoisonné à l’âge de 16 ans, le 30 janvier 148314.

L’oncle du défunt, Jean de Foix, vicomte de Narbonne, s’opposa au testament de son neveu et leva une armée contre sa nièce Catherine de Foix qui s’était faite reconnaître par les Etats de Béarn, Bigorre et Foix, grâce à l’intervention de sa mère Madeleine de France qui assurait la régence. L’aristocratie de ces pays se divisa et plusieurs familles puissantes se rallièrent au vicomte Jean : Villemur, Lévis, Château-Verdun en pays de Foix : Coarraze, Gerderest et Andoins en Béarn. La majeure partie du conflit se déroula dans la plaine d’Ariège où Jean de Narbonne prit plusieurs places et s’installa dans le château de Mazères (09). La guerre finit par s’enliser et il fallut plus de dix ans au vicomte de Narbonne pour abandonner ses prétentions sur l’héritage.

Ses alliés béarnais furent défaits par le parti de Catherine de Foix et Jean d’Andoins vit son château rasé en 1488 avec interdiction de le rebâtir15 Jean fut condamné à mort par contumace pour trahison. En 1493, un accord de paix intervint cependant entre lui et Catherine, devenue reine de Navarre16

De son union avec Jeanne de Foix, fille de Mathieu de Foix-Grailly, comte de Comminges et de Catherine de Coaraze date peut-être l’adoption dans les armes familiales d’un chef d’or à trois pals de gueules mentionné par Rietstap17 et présent justement aujourd’hui dans les armoiries de la ville d’Arthez-de-Béarn18.

Le lignage s’éteignit avec Diane, fille de Paul d’Andoins et Marguerite de Cauna, qui épousa Philibert d’Aure, baron de Gramont (Bidache, 64), vicomte d’Aster (Asté, 65) et comte de Guiche (64) à qui elle transmit la baronnie d’Andoins, le seigneurie de Lescun (64) et le vicomté de Louvigny (64).

Cette femme, réputé de grande beauté et sagesse, est plus connue par son surnom « la Belle Corisande » et devint la maîtresse principale du roi Henri III de Navarre, futur roi de France sous le nom de Henri IV19

Le gisant

Le gisant du chevalier, malheureusement amputé de ses jambes, représente cependant une pièce archéologique remarquable pour le Béarn médiéval.

La tête au visage abîmé, qui repose sur un coussin, porte le camail sous une cervelière métallique. Le haubert de mailles couvre les membres supérieurs jusqu’à la moitié des avant-bras, laissant apparaître le gambison jusqu’aux poignets. Les deux mains en partie détruites, sont jointes dans un geste de prière. Une cotte d’arme sans signe héraldique apparent et serrée par une ceinture, complète la tenue.

Sur le côté gauche, le chevalier porte un écu assez grand dont la pointe est malheureusement coupée mais qui présente cependant la plus grande partie d’un magnifique lion rampant en fort relief. On devine au-dessus du sommet convexe de l’écu le départ des courroies de cuir de la guinche et le manche de l’épée dont le pommeau a disparu. Les jambes absentes reposaient sur une figure de lion encore bien conservée.

Tous ces éléments mènent à une datation de la première moitié du 14e siècle20 qui pourrait donc correspondre à l’identification proposée par la signalétique présente dans l’église. Cependant, les données généalogiques et historiques sont bien trop ténues sur cette époque pour faire de cette hypothèse une certitude.

Quant à la présence de ce chevalier d’Andoins dans l’église hospitalière de Caubins, souvent expliquée par une éventuelle seigneurie éminente du lignage sur le pays environnant, on pourrait aussi bien la rattacher à la dernière volonté du défunt de se donner à l’ordre hospitalier, comme cela se faisait fréquemment au Moyen-Âge dans l’aristocratie chevaleresque.

Olivier Daillut-Calvignac

  1. P. Vidal, Le Grand Prieuré de Toulouse de l’Ordre de Malte, A.A.A.H.G. & CNRS-FRAMESPA, 2002, p.139-140.
  2. La famille féodale des seigneurs d’Andoins ne doit pas être confondue avec une autre famille d’Andoins, d’extraction bourgeoise et qui accédat à la noblesse au cours du 17e siècle. L’armorial de Béarn de A; de Dufau et J. de Jaurgain propose une étude généalogique à leur sujet aux n°42 et 428, tome 1 p.88 et seq. et 335 et seq. Leurs armoiries portaient une main dextre apaumée.
  3. Antérieurement, Loup d’Andoins apparaitrait dans un acte du cartulaire de Lascar daté de 1061 d’après un fragment publié comme preuve par P. de Marca, Histoire de Béarn, 1639.
  4. L.Cadier, Cartulaire de Sainte Foi de Morlas, Pau, 1884, acte n°III.
  5. idem, en note.
  6. Cart. Morlas n°IV.
  7. Mentionné dans les notes généalogiques des frères de Sainte-Marthe, BNF ms fr 20210, f°119-121.
  8. Voir abbé Joseph Légé, Les Castelnau-Tursan, 1886, p.348-350 consultable sur https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k851840z/f1.item
  9. Comme le souligne B. Cursente dans Les seigneuries béarnaises entre deux âges (milieu XIIe – fin XIIIe siècle), si la liste des barons se fixe à partir du 14e siècle, le système des baronnies de Béarn ne devient une réalité institutionnelle qu’au 16e siècle (note 10), à lire sur https://books.openedition.org/ausonius/2018?lang=fr#bodyftn10.
  10. Bergshammar Vapenbok, conservé aux Archives du Royaume de Suède et consultable sur https://sok.riksarkivet.se/bildvisning/R0001216_00001#?c=&m=&s=&cv=&xywh=-1222%2C398%2C5197%2C2739. Jan Raneke en publia une édition (assez fautive pour ce qui touche aux armoiries occitanes) en 1975 : J.Raneke, Bergshammar Vapenboken – En medeltidsheraldisk studie, 2 vol., 1975
  11. BNF ms fr 20210, f°119
  12. idem.
  13. Sur ce sujet, voir Ch. Bourret, Un royaume « transpyrénéen »? – La tentative de la maison Foix-Béarn-Albret à la fin du Moyen Âge, éd. Pyrégraph, 1998, p87 et seq.
  14. https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_F%C3%A9bus
  15. Il occupait l’espace circulaire du cimetière actuel et les pierres furent employées pour rebâtir l’église d’Andoins.
  16. BNF ms fr 20210, f°119v.
  17. Armorial général, 1881, Tòme 1, p.47 Andouins « d’or au lion de sinople au chef du premier chargé de trois pals de gueules ».
  18. https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthez-de-B%C3%A9arn
  19. Sur ce personnage, voir https://fr.wikipedia.org/wiki/Diane_d%27Andoins
  20. Des éléments de comparaison peuvent être trouvés dans Sylvain Vondra, Le costume militaire médiéval – Les chevaliers catalans du XIIe au début du XVe siècle – étude archéologique des gisants, éd.Loubatières, Toulouse, 2015 et dans C.Mézier, Les 5 chapitres – Encyclopédie de la défense corporelle au Moyen-Âge, éd. Crépin-Leblond, 2005.

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