L’héraldique dans les édifices civils

Article paru dans le n°95 de novembre-décembre 2021 de la revue Patrimòni.

Nous revenons dans ce numéro sur la présence de l’héraldique dans notre environnement patrimonial. Les arts héraldiques sont aussi présents dans les monuments civils de notre région, qu’ils soient anciens ou modernes. En effet, comme nous le disions dans la première partie de notre étude, l’héraldique s’échappa rapidement des champs de batailles médiévaux pour se répandre dans toute la société.

Châteaux et maisons

Cependant, il est bien naturel que se soit dans les châteaux ou dans les résidences aristocratiques que nous ayons le plus de chance de rencontrer des armoiries. La présence d’écus peints et de bannières sur les tours et les entrées des châteaux est attestée à partir de la seconde moitié du 12e siècle et probablement avant. Au moment de l’hommage pour la reconnaissance d’un château, le seigneur supérieur faisait déployer son enseigne au sommet du donjon et faisait crier son nom et son cri de guerre. Ainsi par exemple, les châteaux dépendants de l’abbaye Saint-Géraud d’Aurillac étaient reconnus au cri de « Orlhac ! Orlhac ! Per Guiral e per l’abat ! » lancé depuis le haut du donjon.

Ecus de bois et bannières en tissu ont aujourd’hui disparu mais il nous reste heureusement les armoiries sculptées dont la mode se développa à partir de la deuxième moitié du 13e siècle. Ces témoins héraldiques se rencontrent le plus souvent sur des parties des édifices importantes symboliquement et bien en vue. On peut les trouver dans de grands châteaux comme sur les hôtels des chevaliers de rang inférieur et même sur des maisons de bourgeois ou d’artisans.

Portes, fenêtres et façades…

Incontestablement, ce sont les portails, portes et poternes qui accueillait le plus souvent les armes du lignage ou du seigneur du lieu qui marquait ainsi de sa présence identitaire l’entrée de sa maison. Souvent sculptées sur le tympan ou sur la clé de voûte, les armoiries s’exposaient de cette façon au regard de tous.

Hôtel de Graille (16e siècle), La Couvertoirade (12).

Les clés des fenêtres ogivales et plus tard les culots des fenêtres à meneaux pouvaient aussi rappeler les armoiries du maître de maison.

Enfin, mais plus rarement, la façade pouvait présenter des pierres apparentes armoriées. Dans ce cas, une observation attentive doit cependant évaluer la possibilité d’un remploi dans le parement d’une plaque armoriée placée ici postérieurement (nous y reviendrons plus loin).

Frise d’écus entourant les fenêtres du premier étage de l’Hôtel de Guitard (14e siècle) à Rodez (12).

Clés de voûtes, cheminées, escaliers…

L’intérieur des bâtiments pouvait aussi présenter une série d’écus placés ostensiblement sur des éléments considérés comme les plus nobles. Comme dans les églises, les clés de voûtes des châteaux médiévaux pouvaient en porter. A partir du 15e siècle et jusqu’au 17e siècle, le manteau de la cheminée monumentale du château ou de la maison portait très souvent l’écu lignager. On peut y ajouter l’usage de faire figurer ses armoiries sur les plaques de cheminée en métal qui apparut au 16e siècle.

Enfin, surtout à partir du 18e siècle, les éléments sculptés ou les ferronneries des rampes d’escaliers extérieurs comme intérieurs, des balcons, des grilles et des portails, furent ornées d’écus en fer-forgé.

Manteau de cheminée aux armes de la ville de Cahors et de familles quercynoises (15e-16e siècles), conservé au Musée Ingres de Montauban (82).

Peintures murales, plafonds peints

Un style de décor héraldique qui semble avoir été très commun en Occitanie médiévale fut la frise héraldique peinte sur les murs des sales seigneuriales ou sur les poutres des plafonds. Ces peintures pouvaient aussi représenter des chevaliers en action de bataille ou de tournoi. Malheureusement, la majeure partie de ces œuvres ont aujourd’hui disparu mais celles qui demeurent forme un témoignage précieux de la splendeur des décors intérieurs des maisons médiévales occitanes.

Décor peint héraldique de la tour d’Arlet (13e-14e siècles) à Caussade (82).

Meubles, objets du quotidien…

Le mobilier portait fréquemment les marques identitaires des lignages comme le montre les anciens inventaires réalisés à l’occasion des héritages et conservés dans les archives. Aujourd’hui, il reste peu de traces de cette présence héraldique sur des objets qui avaient une durée de vie assez limitée. Seuls quelques meubles médiévaux, des éléments d’orfèvrerie ou de vaisselle, de rares manuscrits conservés dans les musées ou les archives, peuvent encore témoigner de l’expansion héraldique dans les siècles passés.

Détail d’un coffre de mariage aux armes de Chalencon (16e siècle), conservé au château de Pesteils (Polminhac, 15).

En dehors des châteaux et maisons.

Des écus armoriés peuvent aussi être observés sur des bâtiments ou des monuments civils institutionnels comme les mairies, les fontaines, les monuments aux morts… Ils sont souvent alors datables de périodes plus récentes (19e et20e siècles). Cependant, quelques rares témoins héraldiques des anciens consulats peuvent parfois s’observer.

D’anciennes infrastructures civiles comme les tours de murailles villageoises ou les ponts portent encore les écus des seigneurs ou des institutions qui les firent bâtir.

Quelques écus seigneuriaux peuvent aussi être présents sur des bornes isolées ou sur d’anciennes mesures conservées dans quelques villages.

Pont de Palmas (12) portant les armes de l’évêque de rodez, François d’Estaing (1505-1529).

Les décors héraldiques remployés

A partir du 19e siècle et probablement grâce à l’intérêt qui commençait de naître pour les « antiquités », un certain nombre d’éléments du patrimoine héraldique sculpté furent sauvés de l’oubli en étant remployés dans de nouvelles constructions. En effet, la destruction d’un grand nombre d’édifices anciens à cette époque entraîna la perte d’un nombre considérable d’œuvres héraldiques qui y étaient présentes. Ce phénomène fut amplifié par les lois issues de la Révolution qui commandaient la destruction pure et simple de ces décors considérés comme des symboles de l’Ancien Régime. Heureusement, dans certains cas, pour des raisons qui nous échappent bien souvent, des décors héraldiques furent remployés par les bâtisseurs et placés le plus souvent sur les façades de maisons neuves et même sur de simples bâtiments agricoles.

Plaque armoriée du 17e siècle, aux armes des familles de Tubières-Grimoard de Pesteil de Lévis et de Polignac, probablement issue de l’ancien château de Privezac et remployée sur la façade d’une maison du village de Lanuéjouls (12).

Voilà, vous connaissez maintenant l’importance de la part de l’héraldique dans notre patrimoine régional et nous espérons que votre regard sera plus aiguisé pour repérer ces œuvres capables de raconter les destinées individuelles, familiales et collectives qui écrivirent une part de notre histoire.

Olivier Daillut-Calvignac

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