Maurs, église Saint Sulpice

Maurs, Haute-Auvergne

L’église paroissiale Saint Sulpice de Maurs est le seul vestige d’une importante abbaye bénédictine fondée à la fin du 9e siècle et dépendante de Saint Géraud d’Aurillac (15). On peut y admirer un magnifique buste-reliquaire de Saint Césaire daté du 12e siècle, qui représente un véritable chef d’oeuvre de l’art roman occitan.

L’édifice actuel date principalement de la fin du 14e siècle au 16e siècle. Il présente une nef unique à trois travées, un choeur hérité de l’église romane précédente, flanqué de deux chapelles latérales du 16e siècle. Le clocher massif date de 1426 et le portail des environs de 1540. Le cloître attenant fut détruit après la Révolution Française. Pendant tout le Moyen-âge et au-delà, l’abbé fut coseigneur de la ville de Maurs avec l’évèque de Clermont1

Comme bien souvent, le patrimoine héraldique nous permet de suivre quelques décennies de l’histoire des abbés de Maurs.

En effet, plusieurs écus rappellent le pouvoir qu’eurent sur l’abbaye, les lignages alliés de Castelnau-Bretenoux, Balsac et Montal, dans la première moitié du 16e siècle.

Les clés de voute des deux chapelles latérales de l’église sont sculptées aux armes de Gui de Castelnau-Bretenoux, abbé de Maurs entre 1498 et 1523.

Ce personnage de premier plan était le fils de Jean II, treizième baron de Castelnau (1465-1505), qui fut conseiller et chambellan du roi Louis XI et principal support du Capétien en Haut-Quercy. Gui commença sa carrière ecclésiastique comme prieur de La Ribière (cne de Girac, 46), et Saint-Santin (Saint-Santin de Maurs, 15), puis fut chanoine de Cahors (46), abbé de Maurs, Sylvanès (12) et Bonneval (cne du Cayrol, 12). En 1509, il fut élu évêque de Cahors par le chapitre cathédral mais le roi Louis XII le muta à l’évêché de Périgueux (24) en 1511. Il mourut de la peste à Cahors en août 15232.

La grande famille quercynoise des barons de Castelnau-Bretenoux portait un « écartelé de gueules au château d’or qui est de Castelnau ; et d’azur au lion d’argent qui est de Calmont d’Olt »3 depuis le début du 14e siècle quand Gui III de Castelnau hérita en 1315 des domaines de l’importante famille rouergate de Calmont, seigneurs d’Espalion.

Armes de Castelnau-Bretenoux dans l’Armorial de Gilles Le Bouvier (1454-1458), BNF ms fr 4985 f°118v.

Les armoiries de cet abbé bâtisseur se retrouvent sur une miséricorde des remarquables stalles du choeur réalisées dans la première moitié du 16e siècle4. Cet écu occupe une position centrale, donc éminente, et marque bien l’influence du lignage des Castelnau à Maurs à cette époque.

En effet, dans son ouvrage sur l’histoire de la ville, Roger Jalenques5 nous apprend que la mort subite de Gui de Castelnau fut suivie de nombreuses tractations et de pressions pour influencer les moines dans leur choix d’un successeur.

Le frère du défunt, Jean de Castelnau et sa cousine Jeanne de Balsac6, baronne de Montal, rencontrèrent une partie des moines à Saint-Hilaire (46) et leur dirent qu’ils voulaient garder l’abbaye dans leur famille « de toute leur force ». De l’autre côté, Gilbert seigneur de Cardaillac (46) envoya son entourage auprès des religieux pour amener à l’élection d’un de ses proches7.

Il semble d’ailleurs que plusieurs abbés concurrents furent élus à l’issue de ces événements. Mais ce fut un certain « Cauffeyt », le candidat soutenu par le clan de Castelnau8, qui fut confirmé sur le siège abbatial. Il occupa ses fonctions jusqu’à sa mort le 10 décembre 1530.

Son successeur Antoine de La Vidie qui était prieur claustral, ne resta que peu de temps en place et se démit rapidement de sa charge au profit de Jean de Montal, le propre fils de Jeanne de Balsac, dame de Montal. Le clan familial gardait ainsi le contrôle sur l’abbaye de Maurs.

C’est probablement à l’abbé Jean de Montal (de 1532 à 1556) que nous devons la plus grande partie des stalles visibles dans l’église de Maurs. En effet, ses armoiries timbrées de la crosse ornent plusieurs panneaux de bois sculpté. Il portait « d’azur à trois coquilles d’argent, au chef d’or ».

La famille cantalienne de Montal, originaire d’Arpajon-sur-Cère (15) et formant une branche de la puissante famille d’Aurillac9, tenait depuis le 13e siècle l’important château de Laroquebrou (15) qui défendait un pont sur la route du Quercy et du Limousin, à 20 km à l’ouest d’Aurillac.

Amaury de Montal, le père de notre abbé, mourut assez jeune en 1511 et, comme nous l’avons déjà vu, sa veuve Jeanne de Balsac d’Entraigues sut défendre les droits sur Maurs qui lui venaient probablement de son ascendance Castelnau-Bretenoux.

Nous retrouvons les armoiries des Montal associées dans un mi-parti avec celles de Balsac d’Entraigues sur la troisième miséricorde en partant de la gauche (n°3) quand nous faisons face au choeur.

Cet écu portant « mi-parti (d’azur) à trois coquilles (d’or) au chef (du même) qui est de Montal ; et (d’azur) à trois flanchis (d’argent) au chef (d’or) chargé de trois flanchis (d’azur) à la croisette (d’argent) posée en abîme qui est de Balsac avec brisure10« , associe donc les armes des deux parents de l’abbé Jean de Montal.

Nous trouvons les armes pleines des Balsac d’Entraigues sur la quatrième et la quatorzième miséricorde : « (d’azur) à trois flanchis (d’argent) au chef (d’or) chargé de trois flanchis (d’azur), à la croisette (d’argent) posée en abîme ».

La famille de Balsac, originaire des alentours de Brioude (43) dans le Velay, s’implanta en Quercy et Haute-Auvergne avec les frères Rauffet (v.1435-1473) et Robert (1440-1503) qui trouvèrent au service du roi de France Louis XI, l’occasion de se tailler des domaines à la hauteur de leurs ambitions. Ils jouèrent en particulier un grand rôle dans la victoire du roi de France face au comte Jean d’Armagnac (1471). La branche cadette fondée par Robert, seigneur d’Entraigues, brisait d’une croisette d’argent las armes aux six flanchis du lignage.

En onzième position dans les stalles du choeur, nous trouvons une miséricorde présentant un écu fascé ou à trois fasces chargées chacune de trois mouchetures d’hermine.

D’après Abel Beaufrère (1899-1999), ces armes seraient celles de la famille de Durban11 mais l’héraldiste Robert Merceron restait plus prudent et se garda de donner une quelconque identification de cet écu.

A notre tour, nous resterons prudents en proposant cependant l’hypothèse de voir dans cet écu les armes du lignage de Boisse seigneurs de La Farge, Eyjaux, Chamberet, Murat et autres lieux en Limousin (Haute-Vienne et Corrèze), qui portaient « de gueules à trois fasces d’argent chargées chacune de trois mouchetures d’hermine » ou « fascé d’argent et de gueules de six pièces, les fasces d’argent chargées chacune de trois mouchetures d’hermine ».

Armes de Jacques de Boisse enregistrées en 1698 dans l’Armorial Général de France, vol.XVI, Limoges, p.231.
Armoiries de la famille de Boisse dans un armorial limousin du 18e siècle (BFM Limoges – MS 45).

Quelques maigres indices peuvent mener à proposer cette identification sans jamais la confirmer. La monographie de cette famille écrite par l’abbé J. Nadaud dans le tome 1 du « Nobiliaire du diocèse et de la généralité de Limoges » (p.196 et suivantes) indique que ce lignage s’allia dans la première moitié du 17e siècle avec une famille de Haute-Auvergne à l’occasion du mariage, en 1628, de Charles avec Françoise de Saint-Nectaire, fille du baron de Grolières et Saint-Victor et de Françoise d’Apchon. Un membre de la famille de l’épouse, Antoine de Saint-Nectaire, avait été d’ailleurs coseigneur de Maurs comme évêque de Clermont entre 1568 et 1584. En outre, la famille de Boisse semble avoir été accoutumée à faire entrer ses cadets dans l’ordre des bénédictins. Ainsi, les prieurés de Saint-Priest (23) et Chastangeaux (19) proches de Chamberet (Corrèze) furent aux mains des Boisse durant une bonne part du 17e siècle. Mais ces liens semblent bien tardifs par rapport aux miséricordes des stalles de l’église de Maurs. Mais même si ces indices sont assez maigres, nous proposons de faire l’hypothèse que cet écu est celui d’un membre inconnu de la famille limousine de Boisse. D’autres éléments viendront peut-être un jour confirmer ou infirmer cette proposition.

Les armes de l’abbé Jean de Montal se retrouvent sur le portail monumental de l’église, récemment restauré.

Toujours timbré des attributs abbatiaux, l’écu est ici supporté par deux beaux anges d’une facture très fine. Le chef d’or n’y est pas marqué mais la position basse des coquilles dans le champ trahis cependant sa présence.

Un dernier témoin héraldique de cette époque est présent sur une troisième clé de voute dans la première travée de la chapelle Saint Césaire, bâtie au 16e siècle. Elle prote un écu « parti (ou plutôt mi-parti) de … à trois fasces de … et de … au roc d’échiquier de … ». Pour le moment, il nous a été impossible d’identifier avec précision ces armoiries.

Pour terminer, nous nous intéresserons aux vitraux du chevet de l’église. Ils datent de la moitié du 19e siècle12 mais ils reprennent les éléments héraldiques présents sur les stalles et à d’autres endroits de l’église.

Ainsi, nous y retrouvons au centre les armoiries de l’abbé Jean de Montal, et sur le vitrail de gauche dans une curieuse version brisée par le changement d’une coquille en un flanchis des Balsac.

Enfin, l’écu de droite reprend dans un écartelé les éléments des armoiries de Castelnau-Bretenoux, associés aux insignes abbatiaux de la crosse et de la mitre ainsi qu’à un dernier meuble qui pourrait représenter une corne d’abondance.

Ainsi, l’écu présente un « écartelé au 1 de gueules à une mitre accompagnée d’une crosse posée en barre le tout d’or, au 2 d’azur à une corne d’abondance (?) d’or, au 3 d’azur au lion d’or et au 4 de gueules au château d’argent » qui rappelle sans en respecter les émaux les armes des Castelnau-Bretenoux.

En conclusion, le riche patrimoine héraldique présent dans l’église de Maurs nous a permis d’évoquer l’importance des alliances familiales dans la structuration de réseaux féodaux étendus et encore bien vifs au commencement du 16e siècle, qui permettaient à l’aristocratie de maintenir son pouvoir sur les institutions ecclésiastiques locales.

Olivier Daillut-Calvignac

  1. La majeure partie des informations que nous donnons sur l’histoire de la ville de Maurs sont tirées de l’ouvrage de Roger Jalenques, Maurs au fil des siècles, 1976.
  2. J.Juillet, Les 38 barons de Castelnau, 1971, p.76-81.
  3. Louis Esquieu, Essai d’un armorial quercynois, 1907, donne à la page 55 plusieurs blasonnements avec des émaux différents, en particulier pour les quartiers de Calmont d’Olt qui peuvent être d’argent au lion de sable ou d’azur. Cependant, les plus anciennes représentations montrent toutes un lion d’argent sur champ d’azur.
  4. Quelques notes très intéressantes de l’héraldiste Robert Merceron d’Argentat sur « l’ensemble héraldique » de Maurs sont données par R.Jalenques, op. cité p.152-154.
  5. op. cité p.88 et seq.
  6. Fille de Robert de Balsac d’Entraigues et d’Antoinette de Castelnau-Bretenoux, elle épousa en 1495 Amaury de Montal, seigneur de Laroquebrou (15).
  7. R. Jalenques, s’appuyant sur les dépositions faites par 21 témoins après l’élection, rapporte les épisodes principaux et rocambolesques de cette course-poursuite et du trafic d’influence entre les moines électeurs de Maurs et les agents des deux partis.
  8. Ce nom si curieux donne peut-être une piste d’explication du soutien qu’il reçut de la parentèle de Castelnau-Balsac-Montal. En effet, la généalogie du lignage de Balsac est marquée par le prénom identitaire rare de « Rauffet » que portaient les fils de la branche aînée (voir http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Balsac_d_Entraygues.pdf). Une simple erreur de lecture de l’initiale pourrait être à l’origine d’une confusion Cauffeyt-Rauffet. Notre nouvel abbé pourrait donc avoir été lié à la famille de Balsac.
  9. Les armes des Montal sont d’ailleurs assez proches de celles des viguiers d’Aurillac qui portaient « d’azur à la bande d’or à l’orle de six coquilles d’argent ».
  10. La croisette d’argent fut adoptée par Robert de Balsac (1440-1503), auteur de la branche cadette des seigneurs d’Entraigues, père de Jeanne de Balsac et donc grand-père de l’abbé Jean de Montal.
  11. A. Beaufrère, Les trésors d’art de Maurs-la-Jolie, cité par Jalenques, op. cit. p.152. Nous nous demandons bien quel lien la famille de Durban du Bas-Languedoc (du Narbonnais et qui portait bien trois fasces mais sans hermine) pourrait bien avoir eu avec l’abbaye de Maurs à cette époque et nous pensons que cette piste doit être abandonnée.
  12. La date de 1845 apparaît aux côtés des noms des saints figurés.

Catégories