Article paru dans le bulletin municipal de la commune de Saint-Sauveur (Haute-Garonne, 31) du mois de juin 2015.
Contrairement à une idée reçue assez tenace, les armoiries n’ont jamais été réservées à la noblesse. Si leur naissance autour de 1150 a bien eu lieu sur les champs de batailles chevaleresques, elles se sont très vite répandues dans l’ensemble de la société médiévale dès le treizième siècle. Ainsi, les clercs, les dames, les officiers, les institutions, les artisans et mêmes certains paysans ont fait usage d’armoiries durant le Moyen Âge et l’Ancien Régime.
En 1696, le roi Louis XIV (1638-1715) est à cours d’argent pour financer ses guerres perpétuelles. Il décide de créer une nouvelle taxe sur le port des armoiries. Il charge alors son juge d’armes et généalogiste personnel Charles René d’Hozier (1640-1732) de procéder à un recensement complet des armoiries portées dans le royaume afin d’en taxer les propriétaires. Ce recensement donnera lieu à l’édition de l’Armorial Général de France de 1697 à 1709 qui rassemble plus de 125 000 armoiries et est conservé aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale de France.
Parmi les institutions sensées porter des armoiries figure les communautés villageoises. Or, une majorité d’entre elles n’en ont pas à l’époque puisque seuls les principaux consulats apparus au Moyen Âge et ayant fait l’usage de sceaux en sont alors pourvus. L’administration royale décide donc d’en créer de toutes pièces pour les villages qui n’en avaient pas encore afin qu’ils n’échappent pas à ce nouvel impôt. Comme nous allons le voir, ce fut le cas pour notre petit village de Saint Sauveur.
Ses armoiries apparaissent au folio 2000 du 15ème volume de l’Armorial Général traitant de la Généralité de Toulouse. En langage héraldique, elles se blasonnent « d’argent embrassé à senestre de sinople » et sont accompagnés de la mention « La communauté des habitants du lieu de Saint Sauveur ».
L’étude attentive des folios précédents et suivants nous montre clairement que nous sommes dans une partie de l’Armorial rassemblant des armoiries « commises d’office » par les services de Charles d’Hozier. En effet, nous pouvons constater que le ou les rédacteurs y font se succéder à intervalle régulier les mêmes compositions héraldiques en se contentant d’alterner les couleurs pour éviter que deux blasons identiques puissent être enregistrés.
Ainsi, tous les dix folios à peu près, nous retrouvons notre « embrassé à senestre » mais avec des couleurs différentes et cet algorithme s’applique également aux armoiries voisines dont les compositions sont elles aussi répétées dans le même ordre, comme nous pouvons le voir dans les deux exemples ci-dessous (folio 2000 et folio 2049).
L’écu « embrassé à senestre » se trouve ainsi dessiné seize fois et est attribué de façon aléatoire à des propriétaires très divers (communautés, bourgeois, magistrats, religieux…) en Toulousain, Albigeois et Carcassès. Les communautés voisines de Grisolles, Castelginest, Fenouillet, Pechbonieu, Launaguet, Vaquiers, Gargas ou encore Fronton partagent le même sort même si certaines ont adopté depuis d’autres armoiries.
Nous voyons donc que malgré leur composition héraldique très simple, souvent signe d’ancienneté, les armoiries de Saint Sauveur ne datent que du début du 18ème siècle. Comme nous l’avons vu, elles sont plus le résultat du hasard que d’une recherche de signification ou d’une quelconque symbolique. Cependant, elles n’en demeurent pas moins un élément patrimonial important qu’il convient de mettre en avant d’autant plus qu’elles ont gardé une efficacité graphique d’une grande actualité.
Olivier Daillut-Calvignac
Sources : L’Armorial Général de France est consultable à la BNF de Paris, site Richelieu, département des manuscrits occidentaux, collection : « Cabinet des Titres » ou bien plus facilement sur le site Gallica http://gallica.bnf.fr/ d’où sont tirées les illustrations de l’article. Un site très utile permet un accès aux manuscrits de la BNF par ordre alphabétique et par région sur http://www.heraldique-blasons-armoiries.com/armoriaux/hozier.html . Enfin, un site dédié à l’héraldique occitane et à son patrimoine est consultable sur http://eraldica-occitana.over-blog.com/ .