Gaillac, abbatiale Saint-Michel

Gaillac, Albigeois, Languedoc

L’abbatiale Saint-Michel de Gaillac (81) qui domine la vallée du Tarn, est le vestige d’une importante abbaye bénédictine mentionnée à partir de la seconde moitié du 10e siècle. L’église fut consacrée en 972 et les moines développèrent alors un important commerce de vin à partir du port qu’ils avaient édifié sur la rive du Tarn. On trouve là l’origine du vin de Gaillac 1.

L’édifice se partage entre art roman tardif du 13e siècle dans l’abside et le déambulatoire, et gothique occitan pour la nef unique aux dimensions imposantes (13e et 14e siècles). La voûte d’origine, en grande partie détruite en 1568, fut rebâtie à la fin du 17e siècle. A l’est, les bâtiments conventuels de style classique sont organisés autour de l’ancien cloître disparu 2.

Le vestige héraldique le plus ancien date du 14e siècle et se trouve dans la chapelle nord, dite du Scapulaire, construite dans un joli style gothique pendant l’abbatiat de Roger de La Tour. En effet, la clé de voûte de la chapelle est ornée d’un écu à ses armes parlantes, accompagné de la crosse abbatiale.

Ce personnage fut abbé de Gaillac entre 1377 et 1393. Il était probablement issu du lignage des seigneurs de La Tour du Lauragais, connu depuis le 13e siècle. Cette famille semble avoir été originaire des alentours de Laurac, où le hameau de La Tour (Cne de Payra-sur-l’Hers, 11) rappelle peut-être le berceau familial. En effet, nous les rencontrons plusieurs fois dans le cartulaire de Prouille 3 comme seigneurs de Montauriol (11), et donateurs de nombreux domaines en Lauragais et Razès. Au moins un membre de la famille fut condamné pour hérésie dans la seconde moitié du 13e siècle et la générosité de la famille, qui fit entrer plus d’une fille comme moniale, cherchait probablement à faire oublier ce passé compromettant.

Avec un patronyme si fréquent, il est assez difficile de suivre la généalogie du lignage et la démêler d’autres familles du même nom. Cependant, il semblerait bien que certaines branches se rapprochèrent de Toulouse au cours du 14e siècle et que quelques membres du lignage accédèrent aux charges de capitouls de la ville. Nous trouvons ainsi Gaillard de La Tour pour l’année 1368 et Hugues de La Tour alias La Roche, seigneur de Castanet (Castanet-Tolosan, 31), pour la partie de Saint-Sernin et du Taur, en 1441 4 qui pourraient se rattacher au La Tour du Lauragais.

La branche principale changea son nom en La Tour de Saint-Paulet après le mariage en 1613, de Jean-Jacques de La Tour, seigneur de Lauzerville (31), Auzeville-Tolosane (31) et Castanet-Tolosan (31) avec Jeanne de Peytes de Montcabrier, fille de Jean, seigneur de Saint-Paulet (11). Leur descendant, Claude de La Tour de Saint-Paulet fit enregistrer ses armoiries dans l’Armorial Général de France.

AGF vol XV, Languedoc II, p.1849.

Il portait « d’azur à la tour d’argent » mais l’identité héraldique du lignage semble avoir été assez mouvante durant les siècles, comme nous l’avons vu avec les capitouls Hugues et Gaillard de La Tour. Nous ne savons pas grand chose de la carrière ecclésiastique de l’abbé Roger de La Tour, mais c’est certainement lui qui fit bâtir cette belle chapelle, peut-être pour s’y faire enterrer, et y fit représenter ses armes que nous blasonnerons donc « d’azur à la tour d’argent » mais sans certitude sur les émaux.

Mais ce n’est pas la tombe de cet abbé que nous trouvons au sol de cette chapelle mais une autre, bien plus tardive car datable du 17e siècle. La grande plaque de calcaire présente un écu de forme polygonale accompagné d’un texte gravé assez énigmatique.

Il s’agirait de la tombe d’Alamande d’Aragon pour laquelle nous n’avons pas réussi à trouver beaucoup d’informations pour le moment. Une famille d’Aragon qui donna des notaires et des consuls à la ville, est attestée à Gaillac du 16e au 18e siècle 5. Les armoiries de la défunte présentent un parti d’alliance, qui se compose traditionnellement à dextre des armes de son mari et à senestre, des armes de son lignage.

L’écu peut se blasonner : « parti de … à trois tiges feuillées de … posées en pal, chacune surmontée d’un soleil de …, chacun surmonté lui-même d’un croissant de … ; et de … à la croix de … accompagnée en chef de deux croissants de … et en pointe d’un dragon de … ».

Si la partie représentant les armes du mari d’Alamande, reste non identifiées jusque-là 6, la partie senestre montre les armes à la fois parlantes et allusives de la famille d’Aragon de Gaillac. En effet, on peut y voir un dragon qui rappelle directement le patronyme 7, surmonté d’une croix, le tout évoquant la victoire de Saint Michel, patron de Gaillac, sur la bête infernale. Les émaux sont inconnus.

L’épitaphe de la dame qui n’est pas nommée, ne manque pas non plus de mystère. En voici la transcription 8 :

CUJUS DESIGNAT FACIEM IPSA FIGURA DRACONIS

EJUS IN HOC TUMULO MEMBRA SEPULTA JACENT.

STIRPE PROBA NATA EST ET CLARO JUNCTA MARITO

INTACTO VIXIT NUPTA PUDORE GRAVIS

ILLA, SED EST PARCAE NUNC VICTIMA NIL MISERANTIS

PRO QUA TU LECTOR PECTORE FUNDE PRECES

OBIIT IN CHRISTO DIE …….. 16…..

Hormis l’allusion au dragon dans le texte 9, rien ne permet d’identifier davantage la défunte dont la date précise du décès n’a même pas été gravée sur la plaque mortuaire.

L’autre ensemble qui attirera l’attention de l’héraldiste est la voute de la nef, bâtie sur cinq travées à 21 mettres de hauteur.

Cette partie de l’édifice a été construite entre 1693 et 1703, sous l’abbatiat de Ferdinand Vallot dont on peut contempler les armoiries sur la clé de voute de la quatrième travée.

Cet abbé d’origine picarde était fils d’Antoine Vallot, seigneur de Maignan et Andeville (60), Conseiller et premier médecin du roi de France, et de sa femme Catherine Gayant. Il fut chanoine de l’Eglise de Paris, docteur à la Sorbonne, Conseiller au Parlement de Paris. Il était abbé d’Epernay en Champagne en même temps que de Saint Michel de Gaillac. Son abbatiat commença en 1670 et s’acheva avant 1709.

Il portait « d’azur au chevron accompagné en chef de deux étoiles et en pointe d’un rameau de chêne glandé, le tout d’or ». L’écu est ici dominé par la mitre et la crosse abbatiales et environné de deux rameaux de palme. La clé de voute garde des traces de polychromie et on devine le bleu du champ de l’écu, le jaune des meubles et des insignes abbatiaux et la couleur rouge du fond du médaillon.

La clé de voute de la troisième travée est ornée d’un médaillon portant une croix occitane. Elle pourrait rappeler l’appartenance de l’abbaye au comté de Toulouse et, plus tard, à la Province de Languedoc. Cependant, on doit plutôt y voir les armoiries du chapitre de l’église Saint-Michel, telles que les donne l’Armorial général de 1696 et qui étaient « de gueules à la croix cléchée, vidée et pommetée d’or ».

AGF vol.XV, Languedoc 2, p.1903.

Arrivés sous la deuxième travée, nous pouvons contempler une clé de voute représentant un soleil, allusion au règne du roi de France Louis XIV, contemporain de la reconstruction de la voute. Enfin, la première travée présente une clé de voute marquée de la date 1703, année qui vit la fin de ce chantier.

Entre ces deux travées, l’intrados est chargé en son sommet d’un médaillon assez gros de céramique peinte et vernissée, figurant l’écu de la ville de Gaillac, environné d’une couronne végétale. Ainsi, nous pouvons observer l’écu portant « d’or à la bordure denticulée de sable au coq d’azur crêté, becqué, membré et barbé de gueules, au chef d’azur à trois fleurs de lis d’or ».

Ce sont les armoiries anciennes de la ville de Gaillac, que l’on peut voir figurées ainsi dans l’Armorial des Estats de Languedoc de Jacques Beaudeau, imprimé à Montpellier (34) en 1686 10, comme en plusieurs endroits sur les murs conservés des murailles de la ville 11. Elles se blasonnent « d’or au coq et à la bordure denticulée d’azur ; au chef du même chargé de trois fleurs de lis d’or ».

Armorial des Estats de Languedoc, 1686.

Ces armoiries son représentées par erreur avec une bordure dentée de sable dans l’Armorial Général de France, aux volumes 14 et 15, consacrés à la Province de Languedoc (respectivement p.305 et p.2365).

Mais dès le 17e siècle, ces armes à la bordure denticulée semblent avoir été utilisées concurremment avec un autre écu « d’azur au coq d’argent, membré, crêté et barbé d’or à trois fleurs de lis du même en chef », comme on peut le voir dans l’Armorial de La Planche de 1669 12. C’est à partir de cette dernière version que les armes actuelles ont évolué vers un écu plus simple « d’azur au coq d’or, à trois fleurs de lis du même en chef ».

Armorial de La Planche (1669), f°381 (source https://herald-dick-magazine.blogspot.com/).

Cet emblème naturellement parlant du coq (gal en occitan) est attesté à Gaillac dès le 13e siècle et on le voit à la fois figuré dans la tour de la Maison Palmata 13 comme sur le sceau de la communauté 14 ou encore sur les poids de la ville visibles au musée municipal 15.

Pour achever notre étude sur l’abbaye Saint-Michel de Gaillac, nous vous proposons un essai d’armorial des abbés entre le 14e siècle et la Révolution Française. Nous nous sommes appuyés sur la liste des abbés donnée dans l’Histoire Générale de Languedoc, reprise par C.Compayré16. Elle est probablement lacunaire et imprécise, et il reste des zones d’ombre sur l’identité de plusieurs abbés. Nous nous contenterons donc de donner leurs armes quand elles sont attestées17 ou celles des abbés dont l’identification familiale est probable.

Olivier Daillut-Calvignac

  1. Sur l’histoire de la ville et de l’abbaye de Gaillac, voir A.SORIANO (dir.), Gaillac des origines à nos jours, éd. Sté des Amis des Musées et du Patrimoine de Gaiillac, 2013 ; C.COMPAYRE, « Etudes historiques et documents inédits sur l’Albigeois, le Castrais et l’ancien diocèse de Lavaur », Albi, 1841.
  2. Sur l’étude architecturale de l’ensemble abbatial, voir G.ALHSELL de TOULZA e D. CAZES « L’église abbatiale Saint-Michel de Gaillac », Congrès Archéologique de France, 140ème session, 1982.
  3. J.GUIRAUD, Cartulaire de Notre-Dame de Prouille, tome 1 e 2, 1907.
  4. Ch. CAU, Les Capitouls de Toulouse, Privat, 1990, chroniques 72 et 136, R.BOURSE e I.DUFIS, Armorial des Capitouls – essai de reconstitution.
  5. Antoine Aragon est mentionné comme étant un des dix déutés des consuls de Gaillac chargés d’accueillir à l’entrée de la ville, le roi de France François 1er et sa suite en 1533. Le consul François d’Aragon, avocat, apparaît dans les comptes consulaires de l’année 1683 (AM de Gaillac, CC38 voir http://www.ville-gaillac.fr/images/R_vie-culturelle/archivescommunales/inventaire_fonds%20ancien_maj_2018_gaillac.pdf p.46. Les d’Aragon sont encore attestés comme notaires dans les années 1760-70. Voir Veire E.-A. Rossignol, Monographies communales du département du Tarn – Arrondissement de Gaillac, tome 2 consultable sur https://books.google.fr/books?id=FQs-AQAAMAAJ&pg=PA180&lpg=PA180&dq=liste+consuls+de+Gaillac+17e+si%C3%A8cle&source=bl&ots=yAax9hziZt&sig=ACfU3U0CV2wGQOFh_dhTXJd_HQ3nU_DwMw&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwj3yuCQmfj2AhWhgs4BHVIKAlAQ6AF6BAgNEAM#v=onepage&q=Aragon&f=false .
  6. Ces tiges sont peut-être des plants de fèves et pourraient représenter un meuble parlant (favas en occitan) pour une éventuelle famille Favier, Favars ou encore Favarolles et dérivés. Nous remercions Yvan Rocher de nous avoir signalé la similitude de ces végétaux avec la tige de fève parlante présente sur le sceau de Pons de Cunno Faverio datable du 14e siècle.
  7. Déjà au Moyen-âge, les rois d’Aragon utilisaient la figure parlante du dragon sur leurs cimiers. Nous pouvons remarquer que le dragon est figuré ici avec quatre pattes, ce qui n’est pas tellement habituel.
  8. D’après Congrès Archéologique de France, Séances générales tenues à Rodez, à Albi et au Mans en 1863, 1864, p.410 e E.-A. Rossignol, op. cit. p.332-333.
  9. Nous en donnons une proposition de traduction : La figure du dragon marque son visage et ses membres gisent dans cette sépulture. Elle naquit d’une honnête lignée et fut unie à un époux fameux. Mariée, elle vécut sérieuse et pudique, mais maintenant elle est victime de la Parque (déesse romaine qui contrôlait les destinées humaines) sans pitié. Pour elle, toi lecteur, prie du fond de ton cœur. Elle mourut dans le Christ le jour ……… de 16……
  10. J. Beaudeau, Armorial des Estats de Languedoc, Montpelhièr, 1686, p.87.
  11. Comme sur la tour Portanelle (1602) et la porte de la Lauze (1610) A.SORIANO (dir.), Gaillac des origines à nos jours, éd. Sté des Amis des Musées et du Patrimoine de Gaiillac, 2013, p.88.
  12. Le site très intéressant https://herald-dick-magazine.blogspot.com/ en donne une étude en plusieurs articles.
  13. Maison médiévale de la famille éponyme de Gaillac qui portait « d’azur à l’étoile de seize rais d’or » comme cela se voit dans ce bâtiment et sur plusieurs miniatures des Annales de la Ville de Toulouse, Cau (Ch.), Les Capitouls de Toulouse, Privat, 1990.
  14. Il y est associé à la figure de Saint-Michel, patron de l’abbaye et de la ville. Voir http://www.sigilla.org/moulage/douet-arcq-5635-bis-87658
  15. Voir aussi http://www.ville-gaillac.fr/decouvrir-gaillac/2000-ans-dhistoire
  16. Etudes historiques et documents inédits sur l’Albigeois, le Castrais et l’ancien diocèse de Lavaur, 1841, p.384-385.
  17. Raymond d’Aspremont de Roquecor d’après l’écu sculpté sur l’ancienne porte du château de Roquecor (82) et E. Forestié Neveu / a. Galabert, Prélats originaires du Tarn-et-Garonne, in Bull. archéologique et historique de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, T.21, 1893, p.271 ; Roger de La Tour comme précisé dans le corp de l’article ; Bermond Séguier d’après son tombeau visible dans l’église de Florentin (81) et L.Esquieu, Essai d’un armorial quercynois, 1907, p.255 ; Ferdinand de Vallot comme vu dans le corp de l’article et enfin Jean-Bernard de Coriolis selon l’AGF vol.XXX Provence 2 p.1532.

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