Lescure, Albigeois, Languedoc
Le village de Lescure, situé à quelques kilomètres au nord d’Albi (81) tirerait son nom du latin SECURA qui indiquerait l’existence d’un lieu fortifié précoce à proximité d’un gué sur le Tarn1. Plus tard, le castrum Scuriae aurait fait partie de la dot de Constance, fille du comte de Toulouse, au moment de son mariage avec le roi de France Robert II Le Pieux en 1003. Ce monarque donna alors ce domaine lointain à Gerbert d’Aurillac, son ancien précepteur, alors pape sous le nom de Sylvestre II. Ainsi, la baronnie de Lescure entra dans la mense pontificale et forma une enclave dans la vicomté d’Albi. En 1011, le Pape Serge IV donna en fief le château de Lescure à Vézian et à sa descendance qui forma le lignage remarquable des barons de Lescure, éteint à la fin du 18e siècle.
Le village a gardé quelques vestiges de ses murailles, en particulier cette porte datée de 1563 où l’on peut voir, gravée sur le calcaire, une croix occitane posée ici assez récemment.
L’église Saint-Michel
L’église Saint-Michel, bâtie à 400 mètres en contrebas du village, est le vestige d’un prieuré bénédictin fondé au 11e siècle et dépendant de l’abbaye Saint-Michel de Gaillac. L’édifice, de taille modeste, représente cependant un des témoins les plus beaux de l’art roman dans le département avec un décor de grande qualité des 11e et 12e siècle2.
La voûte du chœur et de l’abside présente un ensemble de peintures à motif floral qui peut être daté du 17e siècle3. Cette œuvre se déploie autour d’un écu chargé d’un « écartelé d’argent et de gueules » non identifié. Peut-être que des meubles, maintenant disparus, ornaient à l’origine les champs de ces quatre quartiers. L’écu, en forme de médaillon, ne comporte aucun ornement ecclésiastique et pourrait correspondre à une commande d’un bienfaiteur laïque.
Au fond de l’église Saint-Michel, nous pouvons signaler la présence, sur un vieux banc liturgique du 18e siècle, d’un écu malheureusement raboté à la Révolution. On peut y deviner cependant ce qui semble correspondre aux armoiries de la ville d’Albi. On peut distinguer avec peine la base de la tour traversée par le manche de la crosse épiscopale avec le soleil et la lune en chef, respectivement à dextre et sénestre.
Mais d’autres éléments plus intéressants attireront l’œil de l’héraldiste amateur. En effet, un des collatéraux sud de l’église abrite les sépultures de deux membres de la famille des barons de Lescure4.
Au sol, nous trouvons la tombe de Louis 1er, baron de Lescure à partir de 1573.
La partie supérieure de la pierre tombale présente un écu timbré d’un heaume à lambrequins. On peut y observer les armes suivantes : « écartelé aux 1 et 4 de … au lion de … ; aux 2 et 3 de … au lion de … à l’orle de 12 besants de … ».
Nous savons que cet écartelé vient de l’association des armes de la famille de Lescure avec celles du lignage quercynois de Salgues, adoptée après le mariage d’Elix, héritière de Lescure, avec Durand de Salgues en 1387. Une condition de cette union fut que leur descendance devrait relever le nom et les armes de Lescure5.
Pour ce qui est du blasonnement, plusieurs auteurs donnent un « écartelé aux 1 et 4, d’azur au lion d’or (Salgues) ; aux 2 et 3 d’or au lion d’azur (Lescure) » sans faire mention de l’orle de besants6. Nous trouvons cependant dans l’Armorial de Rietstap les armes de Jean-François de Lescure, évêque de Luçon (85) en 1699 et petit-fils de Louis 1er blasonnées » écartelé aux 1 et 4 d’or au lion d’azur ; aux 2 et 3 de gueules au lion d’or et une orle de 12 besants du même »7.
A notre connaissance, il ne demeure aucune empreinte de sceau de membres de la famille qui aurait pu informer sur la présence d’une orle de besants dans les armes pleines de Lescure. Comme nous allons le voir plus bas, ces besants semblent avoir été habituels mais pas systématiques dans les représentations des armes du lignage8.
En effet, la plus ancienne représentation des armes de Lescure se trouve dans l’armorial dit Bergshammar Vapenbok, daté des années 1436-1450 et conservé aux archives Nationales de Suède9. L’écu présente un champ d’argent au lion de gueules couronné d’or et bien accompagné d’une orle de huit tourteaux de sable.
Nous voyons que les couleurs de cet écu sont très éloignées des blasonnements proposés par les héraldistes que nous avons cités. Le Bergshammar Vapenbok est un armorial universel compilé en Flandres dans la seconde moitié du 15e siècle et qui semble assez fidèle dans sa façon de représenter les armes authentiques des lignages. Un armorial du début du 15e siècle, copié au 17e, reprend ce blasonnement à quelques détails près : » le seigneur de Lescure – d’argent au lyon de gueulles armé & lampassé d’azur couronné d’or à l’orle de tourteaux de sable« 10. Nous sommes condamnés pour l’heure à rester prudents sur la multiplicité de blasonnements possibles des armoiries de Lescure entre une représentation médiévale, quelques représentations modernes et les assertions d’héraldistes du 19e siècle.
Pour ce qui est du blasonnement des couleurs des quartiers aux armes de Salgues, inconnues par ailleurs, la représentation erronée des armes de Louis de Lescure dans l’Armorial Général de France au début du 18e siècle, peut peut-être nous conduire vers une composition probable « d’azur au lion d’or ». Mais ici aussi, nous ferons preuve de circonspection.
Nous proposerons cependant comme blasonnement possible pour les armoiries de la famille de Lescure présentes ici « écartelé d’azur au lion d’or et de gueules au lion d’or à l’orle de 12 besants du même ».
Au-dessous de l’écu, on lit l’épitaphe incomplet du baron : [ci-gi]T MESSIRE [louis] DE LESCVRE […] BARON DU DIC[t lieu] DECEDE LE 17 MARS […]
Ce personnage eut une longue vie très mouvementée. A la mort de son père, Pierre de Lescure, en 1573, il devait encore être enfant. Il eut à faire face aux événements tragiques liés aux guerres de religion. Lescure fut prise deux fois par la force (1581 et 1590), le château brûlé et les murailles détruites. Louis, qui tenait pour le roi de France et l’église catholique, fut nommé gouverneur de la place-forte royale de Lombers (81) et fut blessé au siège de Sieurac (81). Le pays connut aussi en 1630 une épidémie de peste qui décima la population. Enfin, Louis de Lescure perdit trois femmes et se maria quatre fois. En 1635, il s’intitulait toujours seigneur de Lescure dans un accord conclu avec le seigneur de Castelnau-de-Lévis (81). Si nous nous fions à la gravure de son tombeau que donna l’abbé Graule à la fin du 19e siècle, il mourut le 17 mars 1651, à un âge donc très avancé.
Cet homme se maria en premières noces avec Jeanne de La Valette-Parisot en 1586. A cette époque, cette illustre famille originaire de Rouergue portait « mi-parti au premier de gueules au gerfaut d’argent, la pate droite levée qui est de Valette ; au second de gueules au lion d’or qui est de Morlhon ». Ces armes se retrouvent sur l’écu du Grand-Maître de l’Hôpital, Jean de La Valette-Parisot, son parent et célèbre fondateur de la capitale de Malte à laquelle il donna son nom en 1566. Jeanne mourut assez rapidement.
Sur le mur au-dessus de la tombe du baron, une plaque de marbre noir porte l’épitaphe de Louise d’Elbene, sa deuxième femme. Elle était la fille de Julien d’Elbene, un noble florentin nommé ambassadeur en Pologne par la reine Catherine de Médicis. Louise fut demoiselle d’honneur de cette reine avant d’épouser Louis, en 1595, par l’entremise de son oncle Alphonse, alors évêque d’Albi (entre 1588 et 1608). Elle mourut en couches avec son enfant en 1598.
On peut lire sur la plaque :
AETERNAE
MEMORIAE NOB.
LVD.DELBENE
HONORARIAE PVELLAE
REGINAE FRAN.DEINDE
UXORIS CASTISS.NOB.LVD
DESCVRIA BARONIS.ALPHONS
DELBENE EPISC.ABBIENS.
PATRVVS MOERENS POSVIT
OBIIT XVI KAL.IVL.
ANNO MDXCVIII
ET SIT QVIES.
Sous le texte est gravé un écu féminin en forme de losange orné d’un mi-parti des armes de Lescure et de celles d’Elbene. Il peut être blasonné ainsi : « mi-parti : au premier coupé : d’azur au lion d’or e de gueules au lion d’or à l’orle de douze besants du même ; au second d’azur à deux bâtons arrachés et fleurdelissé d’argent posés en sautoir ». L’écu est entouré d’une cordelette formant un lacet assez complexe. Il est intéressant de voir ici comment l’héraldique féminine tenait ses règles propres avec la forme de l’écu et l’association traditionnelle dans un mi-parti des armes du mari avec celles du père.
Puis le baron de Lescure se maria autour de l’an 1600 avec Jeanne de Castelpers (Cne de Saint-Just-sur-Viaur, 12) dont la famille rouergate portait « d’argent au château sommé de trois tours de sable ». La malheureuse mourut noyée avec neuf autres personnes de sa suite dans le naufrage de la barge qui leur faisait traverser le Tarn le 12 avril 160711.
Enfin, c’est encore en Rouergue que Louis de Lescure prit sa dernière épouse, Cécile de Laroque-Bouillac (Cne de Livinhac-le-Haut, 12), avec laquelle il se maria en 1608. Les seigneurs de Laroque-Bouillac, originaires de la vallée du Lot portaient « d’argent au chef d’azur chargé de trois rocs d’échiquier d’or ». Cécile mourut vers 1631, probablement de la peste12.
L’église Saint-Pierre
Peu après la mort de sa deuxième femme Louise d’Elbene (1600), le seigneur Louis de Lescure donna la chapelle castrale dédiée à Saint-Pierre pour qu’elle devienne église paroissiale. Cette église se trouve à l’ouest du village, près de l’emplacement de l’ancien château. Le seigneur se réservait cependant une chapelle pour qu’elle serve de lieu de sépulture pour les membres du lignage.
C’est dans cette chapelle, placée du côté de l’épitre, près du chevet, que se trouve justement une autre tombe armoriée.
C’est la sépulture de François de Lescure, fils aîné du baron Louis dont nous avons déjà parlé, et celle de sa femme Anne de Caylus. Le premier mourut le 7 octobre 1650, soit quelques mois avant son père. Ceci explique pourquoi les décors des deux pierres tombales se ressemblent tant. Une épitaphe fut ajoutée en 1698 au moment de l’inhumation de son épouse.
Ainsi, nous pouvons y lire les inscriptions suivantes :
ICY GIST MESSIRE FRANCOIS DE LESCVRE DECEDE LE 7 OCTOBRE 1650
SEIGNEVR &BARON DV DICT LIEV & DAME ANNE DE CAYLVS SA FEMME DECEDEE LE 1 MAY 1698
L’écu timbré d’un heaume à lambrequins, porte le mi-parti associant les armes de François de Lescure et celles d’Anne de Lévis-Caylus-Pesteils.
En effet, à dextre nous retrouvons les deux quartiers de l’écartelé Salgues-Lescure mais sans l’orle de besants cette fois-ci.
A senestre, nous voyons les deux quartiers aux armes de Lévis et de Pesteils.
Anne de Caylus était effectivement la petite-fille de Jeanne héritière de la branche de Lévis-Caylus et de Jean-Claude de Pesteils son mari. Sa mère, Anne de Pesteils de Caylus épousa son père Jean de Tubières-Grimoard en 1607. Son frère Jean fut l’auteur de la cinquième maison de Caylus appelée de Tublières-Grimoard de Pesteils de Lévis de Caylus13.
La clé de voûte de la troisième travée de l’église porte un écu couronné et daté de l’année 1736. On y retrouve les armes des barons de Lescure dans une version cette fois besantée en bordure mais aussi sur la partition écartelée.
Le voûtement et l’agrandissement de l’édifice furent possibles grâce à la donation de 600 livres que fit par testament le seigneur Alphonse de Lescure en 1734. C’est son frère, l’abbé de Pontron (Cne de Villemoisan, 49) Jean-Baptiste de Lescure, choisi comme exécuteur testamentaire, qui mena l’entreprise à son terme14
Pour terminer notre visite héraldique de l’église Saint-Pierre de Lescure, nous mentionnerons les clés de voûtes et les nombreux culots portant des écus lisses qui devaient être anciennement peints15. Nous trouvons cependant sur un culot de la deuxième chapelle du côté de l’épitre, un culot orné d’un écu portant un tau ou croix de Saint-Antoine.
Olivier Daillut-Calvignac
- Pour le détail de l’histoire de ce village, nous nous sommes appuyés sur l’ouvrage de l’abbé Henri Graule, Histoire de Lescure, 1885.
- Sur cet aspect de l’édifice, lire Marcel Durliat, Saint-Michel de Lescure, 140e congrès archéologique de France, Albigeois, 1982,p.354-360.
- https://ressourcespatrimoines.laregion.fr/ark:/46855/inventaire_IM81002583
- Henri Graule, Histoire de Lescure, 1885, p.246-247.
- H.de Barrau, Documens historiques et généalogiques sur les familles du Rouergue, T.3, p.220.
- Louis Esquieu, Essai d’un armorial quercynois, 1907, p.250. L’abbé Graule ne consacre que quelques lignes fautives au blasonnement des armoiries des barons de Lescure op. cit. p.36.
- JB Rietstap, Armorial général, d’après http://www.euraldic.com/lasu/bl/bl_l_es.html, sur ce personnage voir Graule, op. cité p.303 et seq. et https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Fran%C3%A7ois_Salgues_de_Vald%C3%A9ries_de_Lescure
- L’abbé Graule fait de la présence de ces besants sur la pierre tombale une volonté d’Anne de Lescure, belle-fille du défunt (op.cit.p.246).. Nous ne voyons aucun argument pour le suivre sur cette piste.
- Ce manuscrit est consultable sur https://sok.riksarkivet.se/bildvisning/R0001216_00001#?c=&m=&s=&cv=&xywh=-1579%2C165%2C4343%2C2289. Il a été édité par RANEKE (J.), « Bergshammar-vapenboken- en medeltidsheraldisk studie. », Lund, 1975, en deux tomes. Cet ouvrage comporte un bon nombre d’erreurs d’identification pour les armoiries occitanes. L’écu de Lescure y porte le n°2289.
- Armorial du héraut bourguignon Talant- Jacquet de La Ruelle, BNF ms fr 5941, f°107r. Veire tanben B.Schnerb, Rois d’armes, hérauts et poursuivants à la cour de Bourgogne sous Philippe le Hardi et Jean sans Peur (1363-1419)., Revue du Nord 2006/3 (n°366-367)p.527-557.
- H. Graule, op. citat, p.194-195.
- idem p.219.
- https://gw.geneanet.org/pierfit?lang=fr&p=anne&n=de+tubieres+de+caylus
- Graule, op. cit. p.360-369.
- Certains ont reçu récemment des peintures d’armoiries fantaisistes.