La matrilinéarité des armes des Caylus au Moyen-âge

Ce court article reprend en partie deux études précédentes1.

Les armoiries se transmettent en principe de père en fils, et sont la marque identitaire d’un lignage dans une société fortement patriarcale.

Cependant dans certains cas, en particulier par le mariage d’une femme d’un statut supérieur, il arrive que les armes et parfois le nom soient transmis en ligne féminine. Quelquefois ces armes sont incorporées par un système de brisure : la partition (écartelé, parti…). Ce phénomène de transmission des armes par matrilinéarité est un sujet plusieurs fois étudié2. Pour les régions occitanes méridionales, le cas de la famille de Caylus nous semble intéressant car il présente plusieurs fois au fil du temps une transmission des armes et du nom par les femmes3.

La famille de Caylus, originaire du Rocher de Caylus situé sur la commune de Saint-Affrique, est une famille importante du Rouergue. Elle porte des armes parlantes : de gueules au brochet d’or 4. Les représentations les plus anciennes que nous connaissons (Illustrations 1 et 2) proviennent de deux matrices que je date de la deuxième moitié du XIIIe à la première moitié du XIVe et que je rattache à la branche ainée des Caylus, issue de Pierre de Caylus, mort en 1182 (Voir le tableau généalogique).

Le brochet, Esox lucius en latin, fait écho au toponyme qui vient du latin castellus et dont une des formes anciennes est castel lucius 5. Les armes « modernes » des Caylus, au lion et à l’orle d’étoiles, n’apparaissent que vers le XVIIe avec le jugement de déclaration de noblesse rendu en 1668 par M. de Bezons, intendant et commissaire pour la vérification des titres de noblessse en Languedoc. Le blason décrit alors sans les émaux, est  « semé de molettes et un lion ».

La première transmission matrilinéaire chez les Caylus apparaît avec Marie, héritière de Déodat de Caylus (+ avant 1182), qui se marie avec Pierre de Combret dont la famille porte un lion 6.

Leur fils Déodat II (ca 1170-1245) porte le nom de Caylus, malheureusement l’empreinte de son sceau a disparu. De sa première alliance hypergamique avec Irdoine de Sévérac, veuve du comte de Rodez, Déodat II a deux fils, Gui et Déodat, qui porteront chacun des armoiries issues d’un fief hérité du chef de leur mère, à savoir Sévérac et Canillac.

De sa seconde épouse, Saure Aton, il aura une fille prénommée Hélix (+ ca 1331) qui s’unit avec Guillaume-Bernard d’Olargues, dont les armoiries présentent deux oules (marmites) parlantes7. Le fils issu de cette union, Déodat III de Caylus, scelle en 1303 d’un écu au brochet posé en barre et à la bordure denticulée8.

Son fils Astorg, commandeur de Sainte-Eulalie-de-Larzac puis grand maître de l’ordre de St Jean en Navarre, porte également un brochet, mais qui est posé en bande 9.

Illustration 4: Sceau d’Astorg de Caylus in Sellos medievales de Navarra

Nous voyons bien ici que les armes et le nom des Caylus se sont transmises par deux fois par les femmes, à deux générations d’écart.

Cette transmission des armes apparaît également sur le sceau de Guillaume Jourdain de Montlaur junior10 fils ou petit-fils d’ Alzacie de Caylus, nièce de Déodat II rencontré plus haut, mariée à Guillaume Jourdain de Montlaur sénior11. Ce sceau présente un écu parti au 1 à un brochet et à la bordure denticulée, au 2 fascé de six pièces qui est de Jourdain de Montlaur.

Le brochet issu des Caylus occupe ici la place la plus honorable en héraldique. Cette partition se retrouve dans un écartelé sur une matrice de sceau découverte dans un fossé du château de Bertholène12. Ce sceau présente donc un écartelé aux 1 et 4 fascé de six pièces, aux 2 et 3 au brochet et à la bordure denticulée. La légende nous informe qu’il s’agit du sceau de Gilbert de Jourdain, prieur de Rodez. Le style de la matrice oriente la datation vers les années 1350. Au vu du patronyme, des armes et de la datation, je suppose que Gilbert est le fils de Guillaume Jourdain de Montlaur junior.

Illustration 6: Matrice du sceau de Gilbert Jourdain, prieur de Rodez ©P. Jn. ; lég. Jean Delmas
Ruines du château de Bertholène (12).

On peut donc voir que dans la branche issue de Marie de Caylus, les armes au brochet et le patronyme se transmettent plusieurs fois par les femmes. Par ailleurs, nous pouvons remarquer que cette branche présente, pour les cas que nous connaissons, une bordure denticulée. Ce type de bordure est la forme de brisure la plus utilisée dans l’héraldique occitane13.

Ces différents témoignages du passé nous permettent donc de mieux saisir la transmission et l’évolution des armes dans l’aristocratie du Rouergue. Il nous semble entrevoir que ce type de transmission soit moins rare qu’il n’y paraît dans la petite aristocratie occitane. En effet, le statut de la femme dans le Midi médiéval est différent de celui du Nord de la France. La primogéniture n’y existe pas en droit privé14, et la règle est le partage égalitaire excluant cependant les filles déjà mariées et donc dotées, au moment du décès du père.

Yvan Rocher

  1. Yvan Rocher, « La matrice de Bérenguier de Caylus », Revue française d’héraldique et de sigillographie – Études en ligne, 2020-2, janvier 2020, 12 p. ; Dominique Perrin et Yvan Rocher, « Les armoiries des Caylus du Moyen-Âge au XVIIIe siècle », dans Bulletin de la Société Archéologique, Scientifique et Littéraire de Béziers, 2020, p.11-19
  2. Michel Nassiet, « Nom et blason : un discours de la filiation et de l’alliance », L’Homme, t. 129, 1994, p. 5-30 ; Jean-Luc Chassel, « Le nom et les armes : la matrilinéarité dans la parenté aristocratique du second Moyen Âge », dans la Revue droit et cultures, 02/2012, n°64 Onomastique, droit et politique, p.117-148
  3. La généalogie des Caylus est assez complexe et j’espère ne pas perdre le lecteur au fil de ce récit. Un tableau généalogique complètera donc le texte.
  4. Abbé de Vertot, Histoire des chevaliers hospitaliers de St-Jean-de-Jérusalem, volume 4, 1726, p. 354
  5. André Soutou, « Inventaire toponymique de la vicomté de Millau au XIe siècle », Annales du Midi, 1968, p. 249-250. Pierre-Aloïs Verlaguet, Cartulaire de l’Abbaye de Silvanès, Rodez, 1910, p. 528-529.
  6. AnF, sc/R/116 et 117
  7. AnF, sc/R/161
  8. AnF, sc/R/115 ; Illustration 3
  9. Faustino Menendez Pidal De Navascuès, Michel Ramos Aguirré et Esperanza Ochoa De Olza Eguiraun, Sellos medievales de Navarra, Pampelune, 1995, n° 4/137. Illustration 4
  10. AnF, sc/R/136, Illustration 5
  11. https://montlaur.weebly.com/uploads/1/1/2/3/11231937/seigneurs_de_montlaur.pdf [consulté le 17/01/2024]
  12. https://www.occitan-aveyron.fr/sites/default/files/upload/occitan-aveyron/collection-al-canton/pdf/al-canton_laissac.pdf [visité le 17/01/2024] Illustration 6
  13. https://eraldica-occitana.com/la-bordadura-denticulada-dins-leraldica-occitana/[visité le 17/01/2024]
  14. Hélène Débax. Chapitre II. Seigneurs, héritiers et vassaux : la construction des coseigneuries In : La seigneurie collective : Pairs, pariers, paratge : les coseigneurs du XIe au XIIIe siècle [en ligne]. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2012 (généré le 18 janvier 2024). Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/pur/128106 ISBN : 978-2-7535-6868-6. DOI : https://doi.org/10.4000/books.pur.128106

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