Ibos, collégiale Saint-Laurent

Ibos, Bigorre, Gascogne

Le village d’Ibos (65), situé à quelques kilomètres à l’ouest de Tarbes, faisait partie des riches seigneuries directes que les comtes de Bigorre tenaient dans la plaine d’Adour. C’était une bourgade importante et bien peuplée avec 220 familles attestées en 1311. Les comtes de Bigorre y avaient une salle.

Alors, ce domaine suivit les destinées du comté bigourdan à partir de la crise de succession entamée après la mort de la comtesse Pétronille en 1251.

La première crise de succession de Bigorre.

Née en 1186, Pétronille était l’héritière de la vieille dynastie des comtes de Bigorre attestée depuis le commencement du 9e siècle1. Le lignage était déjà tombé plusieurs fois en quenouille et avait été relevé successivement par les lignages de Foix, de Béarn, de Marsan et enfin de Comminges à la fin du 12e siècle. Ainsi, Pétronille était fille du comte Bernard IV de Comminges et de Stéphanie de Bigorre2. Sa position d’héritière d’un domaine important au milieu de la zone pyrénéenne attira les convoitises et la mena à être mariée cinq fois, ce qui compliqua gravement les affaires de sa succession.

Elle fut mariée une première fois à douze ans avec Gaston VI de Montcade, vicomte de Béarn, qui mourut en 1214. Puis avec Nuño-Sancho, cousin du roi Pere II d’Aragon. Mais à force de manoeuvres diplomatiques et avec le soutien des prélats gascons, Simon de Montfort, alors maître du comté de Toulouse, fit annuller cette union et la maria de force avec son fils Gui de Montfort le 6 novembre 12163.

Un mariage au 13e siècle (BM Angers ms 0379 f°153)

Montfort n’obtint pas cependant la soumission de tout le comté bigourdan, comme nous l’apprend la « Canso ».

« E’l coms [de Montfòrt] venc en Bigorra, on a’l filh molherat ;

E donec li la terra, mas no tot lo comtat

Que de la part del Gave li an si escornat

Que del castel de Lorda no receup poestat. »

(Canso XXVI laissa 180)

Il faut dire que Pétronille avait auparavant signé un traité d’alliance avec le nouveau vicomte de Béarn, Guilhèm-Raimond de Montcade, frère de son premier mari. Cellui-ci et Nuño-Sancho, le second marri banni, s’allièrent donc et s’enfermèrent dans le puissant château de Lourdes, interdisant l’accès du sud du comté aux Francimands en résistant au siège mené par Simon de Montfort pendant l’hiver 12164.

Château de Lourdes – Source https://www.valleesdegavarnie.com/ete/lourdes

Gui de Montfort fut tué au siège de Castelnaudary (11) le 20 juillet 1220, soit moins de quatre ans après les noces. De cette union naquirent cependant deux filles. L’ainée, Alix, se maria avec Jourdain III de Chabanais (16). Cette alliance lointaine d’Alix en terres limousines, est probablement à rapprocher du cinquième mariage en 1228, de sa mère Pétronille avec Boson de Matha (17), membre d’un lignage parent des seigneurs de Chabanais. Alix et Jourdain eurent à leur tour trois enfants: Esquivat, Jourdain et Laure5.

Origine des armoiries de Bigorre.

Selon le testament de sa grand-mère Pétronille, Esquivat devint comte de Bigorre en 1251. C’est ainsi qu’il est nommé dans le Rôle d’armes Bigot6 présentant les écus des chevaliers qui prirent part à la chevauchée du comte d’Anjou en Hainaut en 1254. Le blasonnement en langue picarde dit :

Li Quens de Bigorre

L’escut d’or a II lions de gueules passans coronés d’argent » de Limoxin.

Ce sont ces armes aux lions passants, mais sans les couronnes d’argent, que nous retrouvons sur son sceau appendu à un acte de 1274.

Sceau d’Esquivat, comte de Bigorre (1274) – BNF Coll. Douët d’Arcq n°443

Ces armoiries des seigneurs limousns de Chabanais devinrent ainsi les armes traditionnelles de Bigorre qui furent utilisées dans les siècles suivants et jusqu’à aujourd’hui. Il faut dire qu’aucune trace d’éventuelles armoiries antérieures de la dynastie bigourdane n’est présente dans les sources, même médiévales.

Les armes de Chabanais devenue armoiries de Bigorre.

La seconde crise de succession de Bigorre

Cette succession aux dépends des béarnais mena à une guerre entre Esquivat et Gaston VII de Montcade dans les années 1254-1256. Ibos, qui était situé à la frontière entre les deux territoires souffrit de ce conflit.

Le testament de Pétronille précisait que, si Esquivat mourrait sans enfants, le comté irait à Mathe, dernière fille que la comtesse avait eu de Boson de Matha. Cette Mathe avait épousé Gaston VII de Montcade, visomte de Béarn et acversaire d’Esquivat. Mathe et Gaston eurent ensemble une fille appelée Constance.

Quand Esquivat mourut sans descendance en 1283, il désigna sa soeur Laure comme héritière, contredisant ainsi les volontés de sa grand-mère. Les béarnais réagirent immédiatement et Gaston VII, alors veuf de Mathe, mena sa fille Constance à Tarbes pour recevoir l’hommage de la noblesse bigourdane, le 1er septembre 1283. De son côté, en recherche de soutiens, Laure de Chabanais fit hommage du comté au roi d’Angleterre qui le mit sous séquestre.

Cette situation était déjà ainsi bien embrouillée quand quatre autres prétendants se présentèrent pour la succession.

Parmi eux se trouvait une concurrente de taille : Jeanne de Navarre, femme du redoutable roi de France Philippe Le Bel. Celle-ci se disait légataire d’un prétendu droit de souveraineté sur le comté que l’église du Puy-en-Velay avait reçu du comte Bernard III en 1062 ! C’était assez pour que son royal marri joue le tour de force de mettre à son tour le comté sous séquestre et d’en prendre possession, au nom de sa femme. Les autres prétendants furent déboutés sur ordre du roi de France par le Parlement de Paris!

A la mort de Jeanne, leur fils Louis le Hutin prit le titre de roi de Navarre et comte de Bigorre. Quand il succéda à son père sur le trône de France en 1314, son frère cadet, le futur Charles le Bel reçut le comté de Bigorre à son tour en apanage. Ainsi, le comté entra dans les domaines capétiens et resta sous séquestre jusqu’en 1360.

En 1342, Philippe VI de Valois, roi de France et régent du comté de Bigorre, fonda une collégiale dans l’église paroissiale d’Ibos. Nous pouvons penser que ce fut un moyen pour lui de renforcer l’autorité royale encore fragile dans le pays et de s’assurer un relai ecclésiastique face à l’évêché de Tarbes tenu par l’aristocratie locale, jugée peu sûre.

Un collège d’une quinzaine de chanoines s’installa donc ici et se mit sous la règle de Saint Augustin. La collégiale fut alors placée à la tête d’un archiprêtré couvrant une vaste zone à l’ouest du diocèse. Des travaux très importants furent lancés et durèrent toute la seconde moitié du 14e siècle, donnant à la collégiale d’Ibos cet air de forteresse échouée au milieu de la plaine, que nous pouvons observer aujourd’hui.

En effet, l’édifice est fortifié avec un clocher et une abside bâtis comme des tours de défense, une nef et des contreforts pourvus d’ouvertures défensives. Il faut dire que la Bigorre connut à partir de 1360 tous les malheurs liés à la Guerre de Cent Ans. Comme nous l’avons déjà mentionné, Ibos faisait aussi face à la vicomté de Béarn, plutôt hostile aux capétiens, et entretenait des relations conflictuelles avec le village béarnais voisin de Pontacq, en particulier par rapport aux droits de pâture sur le plateau de Ger.

L’intérieur de la collégiale.

La clé de voûte de l’abside conserve le souvenir de cette fondation royale. un personnage portant l’aumusse des chanoines et qui pourrait représenter Saint Laurent, est entouré de deux écus pendus par leurs guinches et peints.

Le premier porte un « écartelé d’azur à deux fasces accourcies d’argent (ou d’or) et de sinople (ou plutôt d’or?) plain, à la croix d’or brochante sur l’écartelé ». Ces armes ne sont pas sans rappeler les armoiries communales de la ville d’Ibos dont nous parlerons plus bas.

Le second écu porte les armes des rois de France « d’azur semé de fleurs de lys d’or », que portait donc le fondateur de la collégiale, Philippe VI de Valois.

Sur les clés de voûtes de la nef, nous trouvons encore deux écus. Le premier ne sembla pas porter d’armoiries véritables et nous n’y pouvons remarquer qu’une bordure soulignée par une rainure. Cet écu était peut-être anciennement peint, mais la piste d’un plain à la bordure, comme celui des armes des vicomtes de Couserans, ne doit pas être écartée.

Le second porte ce qui semble être les armes de la ville d’Ibos, peut-être dans une version ancienne. En effet, la ville d’Ibos porte les armes suivantes : « écartelé aux 1 et 4, d’azur à la lettre i majuscule d’or ; aux 2 et 3, de gueules à la lettre majuscule d’or ; à la croix d’or brochante sur l’écartelé ». Ici, les couleurs ne figurent pas sur l’écu et une bordure est ajoutée à l’écartelé. Cependant, il ne fait pas de doute qu’il s’agit des mêmes armes. Ce serait donc un témoignage assez ancien de ces armes municipales.

Nous savons que la communauté d’Ibos utilisait un sceau dès 1311. Ce sceau figurait sur le traité de paix « sober lo tribalh e guerre qui ere enter los homes soberdits de Pontag de une part, eus homes d’Ivos d’autre part » signé « en presentie deu soberdit mosenher lo senescauc de Begorre » comme l’indique la charte rédigée en gascon médiéval7.  Ce conflit avec le village béarnais voisin, qui touchait, nous l’avons dit, les droits de pâture sur le plateau de Ger, datait peut-être de la guerre de 1254-1256 entre Esquivat de bigorre et le vicomte de Béarn. malheureusement, ce sceau n’a pas été conservé et nous ne savons pas s’il présentait une figuration héraldique.

Les armoiries de la ville sont présentes au fronton de la mairie et sur le monument aux morts des deux guerres mondiales.

Actuellement, la commune continue d’utiliser ces symboles héraldiques pour sa communication.

Olivier Daillut-Calvignac

  1. Sur l’histoire généalogique de ces comtes, voir J.de Jaurgain, La Vasconie, Pau, 1902, Tome 2, p.357-390.
  2. Voir C.Higounet, Le comté de Comminges de ses origines à son annexion à la couronne, Privat 1949, rééd. L’Adret 1984, p.74-75. 
  3. Higounet, op. cit. p.100 e M. Roquebert, L’épopée cathare T.3 Le lys et la croix, Privat 1986, p.49-50. 
  4. Roquebert, op. cit. p.50-51.
  5. Su tout ceci, voir M.Berthe, Le comté de Bigorre un milieu rural au bas Moyen-Âge, SEVPEN 1976, p.15 a 17. 
  6. BNF ms fr 18648, n°44.
  7. P. Lorber, Traité de paix signé entre les communauté d’Ibos et de Pontacq (1311), in VIe congrès de l’Union historique et archéologique du sud-ouest, Tarbes 1914, p.188.

Catégories