Les Eyzies-de-Tayac, château de Commarque

Commarque, Périgord noir, Guyenne

Le village abandonné de Commarque, perdu en pleine forêt, est un des sites les plus beaux du Périgord médiéval. Encore envahi par la végétation il y a une vingtaine d’années, ce qui lui donnait un air très romantique, il est aujourd’hui complètement défriché et ouvert à la visite, même si les travaux de restauration se poursuivent.

Pendant toute l’époque féodale, le château fit partie de la puissante baronnie de Beynac. La famille de Beynac, connue depuis le début du 12e siècle, était une des plus considérables du Périgord. Dans la seconde moitié du 13e siècle, Gaillard, frère du baron Pons de Beynac, commença la branche cadette de Commarques et s’installa dans ce château secondaire de la famille qui contrôlait un carrefour stratégique. Nous avions déjà évoqué ce rameau du lignage dans notre article sur l’église de Vazerac en Quercy (lien).

Le site remarquable se compose de trois degrés différents qui correspondent aux trois niveaux d’habitation. En bas, des deux côtés de la vallée, demeurent les vestiges d’un habitat troglodytique et semi-troglodytique important occupé depuis la préhistoire. A l’époque médiévale, c’est ici, contre les falaises, que vivaient les populations les plus pauvres du village (paysans et manouvriers) dans des maisons appuyées sur des grottes naturelles ou creusées.

Une intéressante reconstitution de cet habitat médiéval est d’ailleurs proposée au public.

Plus haut, un bourg aristocratique fortifié s’étendait sur les premiers étages d’une plateforme calcaire dominant la vallée. C’est ici que se trouvent les ruines des hôtels des « milites castri », lignages des chevaliers vassaux des seigneurs qui composaient la garnison du site et tenaient des parts de seigneurie directe des mains des barons de Beynac.

Les sources écrites de l’époque mentionnent les familles de Commarque (sûrement la plus ancienne et la plus puissante), de Sendrieux (village à 15 km à l’ouest), d’Escars, de Gondritz et de La Chapelle. Chacune tenait dans le bourg une maison avec tour (13e siècle) participant à la défense du site fortifié.  

Nous trouvons aussi dans le bourg castral un four banal et peut-être d’autres bâtiments d’artisans (forgeron…) seront fouillés un jour.

C’est ici que se trouve la chapelle castrale dédiée à Saint-Jean, qui participait aussi à la défense tant spirituelle que militaire du site. En effet, le chœur du sanctuaire est bâti au-dessus de la porte fortifiée principale (la Portariá) reliant le village bas au bourg castral, avec l’autel placé juste à l’aplomb de l’entrée.

La voûte de la nef est aujourd’hui tombée ce qui a fait perdre son unité à l’édifice, séparant le clocher du reste du bâtiment.

 La partie voûtée du chœur garde elle le souvenir des barons de Beynac avec la présence sur une pierre de l’intrados du second arc diaphragme d’un écu à cinq burelles datable des 13e ou 14e siècle.

Selon les sources, la famille de Beynac portait « d’or à cinq burelles de gueules » ou « burellé d’or et de gueules de 10 (ou 12) pièces », et l’étude des représentations monumentales ou sigillographiques de leurs armes montre bien la grande liberté qui était de mise quant au nombre de burelles figurées sur l’écu.

Ici en tous cas, il n’y a aucun doute sur l’identification de l’écu.

de Beynac « d’or à cinq burelles de gueules »

L’accès au château principal des barons de Beynac, situé tactiquement comme symboliquement au point le plus haut de la plateforme rocheuse, se faisait par une sorte de barbacane fortifiée suivie d’un fossé profond, taillé à la verticale dans le roc qui a servi ainsi de carrière.

Ce château dominant est imposant avec son donjon qui s’élance à plus de 30 mètres de hauteur et qui est encore surmonté d’une guette fortifiée. C’est en fait un donjon double formé d’un premier bâtiment de tradition romane du début du 13e siècle accosté d’un autre plus gros bâti du côté de l’attaque à la fin du 14e siècle.

Cette dernière construction peut être datée assez précisément en particulier grâce à l’héraldique.

En effet, le dernier niveau (3e étage) est occupé par une salle noble voûtée d’ogives dont la clé de voûte est sculptée d’un écu de petite taille surmonté d’un heaume imposant sommé de deux cornes impressionnantes.

Il est très fréquent de trouver des clés de voûte chargées d’un écu mais elles sont rares celles où figure un heaume de si grande taille. Cette clé de voûte est tellement originale qu’une copie en a été faite pour mieux la présenter aux visiteurs du château.

On y retrouve l’écu aux cinq burelles des barons de Beynac surmonté d’un grand heaume ovoïde typique du 14e siècle avec deux vues fines et une croisette trouée dans la ventaille. Mais le plus intéressant, ce sont ces deux cornes doubles superposées de chaque côté. Les deux cornes intérieures semblent rappeler les cinq burelles de l’écu.

C’est en fait ce cimier qui nous renseigne sur la datation de cette salle. En effet, quand nous observons les sceaux conservés des seigneurs de Beynac, nous trouvons dans la seconde moitié du 14e siècle un Pons de Beynac de Commarque qui scellait d’un écu surmonté d’un heaume « aux cornes de bœufs ».

Ce personnage employa plusieurs sceaux différents tout au long de sa vie. Le premier (1354) et le second (utilisé en 1369 mais aussi de 1380 à 1395) ne présentaient qu’un écu armorié. Le troisième sceau, sur lequel Pons de Beynac fit représenter pour la première fois ce heaume cornu, est conservé sur un seul acte daté de 1370. Enfin, un dernier sceau représentant l’écu, le heaume cornu et deux supports (une demoiselle et une licorne) fut utilisé entre 1395 et 1402. Cette longévité (de 1354 à 1402) peut aussi révéler l’existence de deux homonymes du nom de Pons de Beynac de Commarque, éventuellement un père et son fils. Notre salle en tous cas peut donc être datée très probablement des trois dernières décennies du 14e siècle.

Pour conclure avec ces cornes, nous dirons que l’on peut penser que ce cimier distinctif choisi par Pons de Beynac avait probablement une valeur parlante avec la proximité phonétique des mots BANAT/BAINAC (banat en occitan se traduit par cornu).

La fin de l’époque médiévale fut marquée par des conflits entre les barons de Beynac et leurs principaux vassaux, les chevaliers de Commarque. Le site perdit peu à peu de son importance et les familles aristocratiques le quittèrent les unes après les autres, probablement suivies par la population. Le village et le château de Commarque furent définitivement abandonnés à la fin du 17e siècle.

En 1968, Hugues de Commarque, descendant des chevaliers de ce nom, acheta les ruines du château et du village pour les faire renaître. Nous pouvons saluer son initiative et son travail.

Olivier Daillut-Calvignac

Toutes les photos sont de l’auteur.

Sources principales : LAVERGNE (G.), « Beynac et ses seigneurs. », éd. Virmouneix, Thiviers, 1971 ; études archéologiques du site http://www.hades-archeologie.com/operation/chateau-16/ ; généalogie de la famille de Comarques http://racineshistoire.free.fr/LGN/PDF/Comarque.pdf ; LACAMPAGNE (J.), « Blasons du Périgord », éd. SUD OUEST, 1988 ; BOSREDON (Ph. de), « Sigillographie du Périgord. », 1880.

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