Quelques jalons de l’histoire héraldique de la famille de Fargues en Bazadais.

La découverte, proche de Monflanquin en Agenais (Monflanquin, 47), de deux vervelles aux armes de Bernard de Fargues (vers 1280-1341), archevêque de Narbonne de 1311 à sa mort, nous donne l’occasion de faire un point sur la généalogie et l’histoire héraldique de la famille gasconne de Fargues1 installée en Provence dans le sillon du pape Clément V, alias Bertrand de Goth (1264-1314).

Le forum du site de la revue « Détection passion » présentait au mois de janvier 2010 les photos de deux vervelles découvertes à 800 mètres de distance l’une de l’autre dans les environs de Monflanquin en Agenais2. Ces deux objets, dans un état de conservation remarquable, étaient aussi présentés dans un numéro papier de cette revue quelques mois plus tard dans un intéressant article dédié entièrement à ces pendants d’harnois très souvent armoriés3.

Photo Détection Passion

L’auteur de l’article se désolait de l’absence d’identification des armes figurées et en partie émaillées sur les deux vervelles.

Il faut dire que c’est bien loin de l’Agenais qu’il fallait chercher d’autres représentations de ce même écu que nous pouvons blasonner « parti au 1 coupé d’argent à la croix alésée et pattée de gueules et d’or au pot (de sable) et au 2 d’or à trois fasces de gueules ».

En effet, c’est dans le château de Villerouge-Termenès (Villerouge-Termenès, 11), situé à 300 km au sud-est du lieu de découverte, que nous avons trouvé plusieurs figurations de cet écu qui appartenait donc à Bernard de Fargues, archevêque de Narbonne et seigneur de Villerouge entre 1311 et 1341. Benoît Brouns a consacré un excellent article à ce prélat, dans lequel il en a donné la biographie la plus complète possible4. C’est en grande partie de ce travail que nous tirerons ici nos informations sur cet illustre personnage.

Bernard de Fargues.

Comme nous le disions précédemment, les poutres d’une salle du château de Villerouge-Termenès sont couvertes de peintures aux armes du prélat alternées avec les armes « d’argent à la croix de gueules » de l’archevêché de Narbonne.

L’écu parti de l’archevêque figure aussi à la clé de voute d’une porte de la muraille défendant l’accès au château, du côté est. Il est ici surmonté de ce qui était peut-être un portrait sculpté du prélat, accompagné de la mitre et de la crosse.

Son exceptionnelle longévité sur le siège de l’archevêché (30 ans, entre 1311 et 1341) permit à Bernard de Fargues d’entreprendre de nombreux travaux sur les bâtiments relevant de son autorité.

Ainsi, l’autre château que tenait l’archevêque à Capestang (Capestang, 34) présente lui aussi des décors ornés de l’écu de Bernard, toujours accompagné des croix rouges de Narbonne et ici en plus des fleurs de lys capétiennes.

Ce prélat bâtisseur laissa aussi sa marque dans l’édification de la cathédrale Saint Just et Saint Pasteur de Narbonne (Narbonne, 11), joyaux de l’art gothique rayonnant.

Ainsi, les vitraux de la chapelle Saint-Martin, édifiée par Bernard de Fargues, présentent la même association héraldique que le décor de Capestang avec ses armes côtoyant les armes des rois de France et de l’Église de Narbonne.

Bernard de Fargues fit aussi peindre ses armoiries sur les deux piliers les plus visibles du chœur du sanctuaire. Ces deux écus, malheureusement très effacés, dominent deux peintures qui montrent un personnage mitré et auréolé dans le rôle d’enseignant accompagné, les deux fois, d’un écolier occupé à lire et qui pourrait représenter Bernard de Fargues pendant sa jeunesse recevant son savoir de son illustre oncle Bertrand de Goth, devenu pape sous le nom de Clément V.

Enfin, la cathédrale renferme la tombe de ce prélat, qu’il fit bâtir avant sa mort sur le côté nord de la clôture du chœur. Elle prend la forme d’un enfeu très sobre dans lequel la seule recherche d’ornements se voit sur la voute trilobée et peinte. On y retrouve naturellement les armoiries de Bernard de Fargues à la clé de voute. Le gisant de l’archevêque fut détruit pendant la Révolution Française. Cependant, on en conserve le souvenir grâce à un manuscrit de la Collection de Gaignières5qui le décrit comme accompagné d’un écu écartelé d’une croix pattée et d’un pot6.

Pour en finir avec notre inventaire monumental des armoiries de Bernard de Fargues, nous mentionnerons l’écu relevé par R. Hyvert dans l’impasse de la Distillerie dans le centre de Narbonne7.

Au niveau sigillographique, Bernard de Fargues nous a laissé quelques empreintes des sceaux qu’il utilisa quand il fut évêque de Rouen et archevêque de Narbonne, mais aucune d’elles ne présente une figuration de ses armoiries8.

Si nous nous tournons maintenant vers les manuscrits, ce sont probablement les armes de notre prélat qui figurent à peine ébauchées sur la page 17 de l’armorial Le Breton (n°135)9. L’écu n’est malheureusement pas coloré. Le parti y est inversé et la croix alésée est peu ou non pattée, mais on reconnaît bien les trois fasces et surtout le pot caractéristique présent sur l’écu de notre archevêque. E. de BOOS y avait vu une coquille et ne réussit donc pas à identifier cet écu.

Sa position dans le manuscrit n’est pas sans poser quelques questions. En effet, si nous suivons l’analyse codicologique d’Emmanuel de BOOS10, la page 17 de l’armorial vient après le premier ensemble datable du 15e siècle (p.5 à 12) et achève un ensemble de cinq pages restées blanches ou chargées de quelques traits ou ébauches. Notre écu se trouve donc tout seul sur le recto de la page 18 où commence l’armorial de la fin du 13e siècle (vers 1292 pour E.deBoos, entre 1290 et 1320 pour M.Popoff11). Pourtant, E. de Boos déclare que cette page 18 « est à l’évidence du XVe siècle, sans que l’on puisse dire avec certitude s’il s’agit d’un pur ajout ou si elle serait la copie d’une page d’origine détruite dès la fin du Moyen-Âge. » Notre écu pourrait peut-être apporter une réponse à ces incertitudes.

En effet, les écus peints à la page 18 concernent le duché de Normandie et commencent justement par le duc (n°136). Selon E.de Boos, la partie du manuscrit dédiée à la marche de Normandie fut désorganisée dès la composition de l’armorial. Ainsi, cette marche venait à l’origine juste après la marche d’Île-de-France et commençait par l’actuelle page 22 qui faisait face à la page 19. Elle commençait donc par l’écu de Jean de Brienne, comte d’Eu tué à la bataille de Courtrai en 1302 (n°216). Cependant, normalement, une marche d’arme devait commencer par l’écu de son prince le plus éminent12. De façon à corriger ce manque, l’auteur de l’armorial aurait pu ajouter une feuille au manuscrit et, au prix d’une petite désorganisation des feuillets, ajouter les armes des ducs de Normandie à la place qu’elles devaient avoir. Ainsi, le feuillet portant les pages 17 et 18 aurait été mis en tête de manuscrit au tout début du 14e siècle et rempli au fur et à mesure jusqu’au 15e siècle comme l’attestent plusieurs armoiries de personnages de cette époque.

Ce qui nous guide vers cette hypothèse, c’est que nous voyons par transparence que l’ébauche de l’écu de Fargues se trouve exactement au revers du second écu de la page 18 (n°137) attribué au comte du Perche. Or, ce dernier comté ne relevait pas exactement du duché de Normandie qu’il ne faisait que voisiner. On peut donc s’étonner de le voir figurer à la seconde place de la marche, juste après le duc.

Par contre, Bernard de Fargues, au commencement de sa carrière, fut archevêque de Rouen entre le 4 juin 1306 et le 5 mai 1311, ce qui faisait de lui alors, le second personnage le plus important de Normandie après le duc. Nous savons13 que son épiscopat là-bas fut marqué par ses dépenses scandaleuses qui menèrent son oncle Clément V à mettre l’évêché sous séquestre le 18 novembre 1308. Nous connaissons aussi ses rapports conflictuels avec la noblesse normande qui lui reprochait son arrogance. Une telle situation ne manqua pas d’attirer l’attention du roi Philippe Le Bel qui cherchait alors des moyens de pression pour pousser le pape à le soutenir dans les affaires de Boniface VIII et des Templiers. Des pamphlets à l’encontre de l’évêque commencèrent à circuler dans le pays. Le départ de Bernard de son siège de Rouen fut alors autant une décision stratégique de son oncle qu’un sauvetage du jeune prélat inexpérimenté et gaspilleur.

Nous pourrions penser alors qu’à l’origine, le second écu de la page 18 du manuscrit aurait pu être celui de l’archevêque. Les armes de son prédécesseur Guillaume de Flavacourt (1278-1306) figuraient d’ailleurs dans la partie composée à la fin du 13e siècle (n°171 – l’acevesce de Roen). Mais le scandale de son départ et le mauvais souvenir que laissait le prélat auraient pu expliquer la volonté de l’effacer au profit d’un comte voisin14. L’écu de Bernard de Fargues aurait pu être postérieurement copié par transparence sur la page 17 pour en garder la trace, expliquant les positions inversées des meubles du parti et l’absence de couleurs.

Ce feuillet ajouté pourrait donc bien dater du début du 14e siècle (pendant l’épiscopat de Bernard de Fargues 1306-1311), en accord avec la datation de M.Popoff, et avoir été complété en plusieurs fois, jusqu’au 15e siècle comme le proposait E.de Boos. Nous proposons cette hypothèse, peut-être fragile, à notre lectorat qui s’en fera le juge.

Le lignage de Fargues.

Deux autres armoriaux du Moyen-Âge présentent des armes assez proches mais dans lesquelles ne figure pas le quartier d’argent à la croix de gueules. Il faut dire que cet élément jouait le rôle de brisure ajoutée par Bernard alors que nous sommes ici en présence des armes pleines du lignage de Fargues depuis le dernier quart du 13e siècle. En effet, ces armes présentent un parti des armes originelles du lignage ornées d’un pot15, et des trois fasces de la maison dominante des environs de Langon (Langon, 33) : la famille de Goth.

Cette famille connue depuis le commencement du 12e siècle, tenait les seigneuries de Villandraut (Villandraut, 33) et Uzeste (Uzeste, 33) en Bazadais et de Grayan-et-l’Hôpital (Grayan-et-l’Hôpital, 33) en Médoc. A la fin du 13e siècle, elle comptait dans ses alliances des maisons prestigieuses comme celles de Moncada, de Fumel ou de Mauléon. Le parti des armoiries de Fargues devait donc garder le souvenir de l’alliance du modeste lignage de Fargues avec l’illustre famille de Goth nouée à l’occasion du mariage des parents de Bernard, vers 127516.

Nous lisons donc dans l’armorial dit « du héraut Navarre »17, composé vers 1370 le blasonnement suivant (n°1334) à l’intérieur de la partie consacrée aux chevaliers bannerets de la marche du Poitou18 : « Le sire de Forgues, party d’or a ung pot noir contre fessé d’or et de gueules ». Ce seigneur gascon ne s’y trouve pas isolé puisqu’il côtoie ses parents et voisins de Balenx, Durfort, Duras, Cancon etc…

A son tour, l’armorial de « Gilles Le Bouvier, Héraut Berry »19, composé entre 1454 et 1457 en donne une illustration très belle au folio 117 (n°902) nommée : « ceulx d’Antreghes ». Les émaux du second quartier y sont cependant inversés et le pot y est représenté d’une façon très réaliste avec une hanse à dextre et un pied court.

La titulature de cet écu appelle quelques explications. En effet, ce titre n’a pas aidé E.de Boos dans l’identification de l’écu et le poussa à rester prudent, mentionnant juste la présence de ces armes comme attribuées au seigneur de « Forgues » par le héraut Navarre. Il faut dire que c’est en Provence qu’il fallait aller chercher l’origine d’Antreghes !

La terre d’Entraigues (Entraigues-sur-la-Sorgue, 84) située à quelques kilomètres au nord-est d’Avignon appartenait aux domaines des comtes de Toulouse jusqu’à 1240, quand Raimond VII en donna la seigneurie20 à Barral des Baux, vicomte de Marseille, à l’occasion du mariage de ce fidèle avec sa nièce Sybille d’Anduze. Cette branche des seigneurs des Baux conserva ce lieu21 jusqu’au mariage de Cécile des Baux, dite « Rascasse22», petite-fille de Barral, avec Raimond-Guilhem de Budos le 28 décembre 1314. Ainsi, Cécile amenait comme dot, en plus des 16 500 livres tournois, les seigneuries d’Entraigues, Bédoin et Caromb que sa grand-mère avait portées au patrimoine de son lignage23.

C’est ici que se situe le lien entre la seigneurie d’Entraigues en Vaucluse et la famille gasconne de Fargues. En effet, Raimond-Guilhem de Budos était frère utérin de l’archevêque de Narbonne Bernard de Fargues, né du premier mariage de sa mère N.de Goth avec un seigneur de Budos24 (voir la généalogie). Lui aussi profita largement du népotisme de son oncle le pape Clément V qui le nomma recteur de Bénévent (1306) puis recteur du Comtat (de 1310 à 1315) et enfin maréchal de la Cour en 131425.

Apparemment, Raimond-Guilhem et Cécile ne conservèrent pas longtemps leurs droits sur Entraigues qui n’apparaissent plus dans l’hommage que Raimond-Guilhem fit de ses fiefs au nouveau recteur du Comtat, le 10 mars 131726.

Ils se dessaisirent peut-être de cette seigneurie au profit d’un autre demi-frère de Raimond-Guilhem, le cardinal Raimond-Guilhem de Fargues, bâtisseur probable du château de Fargues dans la commune voisine du Pontet (Pontet, 84) situé à mi-distance entre Avignon et Entraigues. Ce prélat avait effectivement obtenu de son oncle un ensemble de terres en franc-alleu le long de la Sorgue sur lesquelles il fit bâtir ledit château. Il semblerait que tous ses domaines retournèrent dans la mense papale à sa mort en 1346.

La représentation des armes de Fargues titrées d’Entraigues dans l’armorial de Gilles Le Bouvier garde en tout cas le souvenir de la présence de notre lignage gascon au cœur du Comtat peut-être jusqu’au milieu du 15e siècle.

Entraigues et le château de Fargues sur la carte de Cassini, 1778.

Enfin, l’Armorial Général de France (1696-1708) conserve à la page 662 du volume 15, consacré au Languedoc, les armes enregistrées par le chapitre de la collégiale Saint Etienne de Narbonne dont Bernard de Fargues fut le fondateur en 1330. Nous savons l’importance qu’eut cette fondation pour l’archevêque qui y consacra beaucoup d’énergie, de temps et d’argent27. Il était donc logique que le chapitre garde le souvenir de ce parrainage presque quatre siècles après sa naissance.

Comme le montre le tableau généalogique que nous présentons ci-dessous, le pape Clément V fit profiter de son influence tout le clan familial et en particulier ses neveux issus de sa sœur.

Ainsi, cinq d’entre eux occupèrent des fonctions ecclésiastiques de haut niveau.

Après Bernard, venait Raimond-Guilhem duquel nous avons déjà parlé plus haut. Il reçut plusieurs bénéfices et fonctions ecclésiastiques28puis accéda au titre cardinalice avec l’aide de son oncle, le 19 décembre 1310. Les armes de ce prélat sont connues grâce à un manuscrit conservé à la Bibliothèque Municipale de Laon et qui lui appartint. On y retrouve les armoiries de Goth aux émaux inversés en première place dans un parti avec un écartelé où se côtoient à nouveau le pot de Fargues et une croix pattée de gueules sur champ d’argent29.

Ces armoiries peuvent donc être blasonnées « parti d’or à trois fasces de gueules qui est de Goth et écartelé d’argent à la croix pattée de gueules et d’or au pot de sable qui est de Fargues ».

Un autre frère plus jeune de Bernard, Béraud, fut ainsi nommé évêque d’Albi où il restera de 1313 à 1334. On peut contempler ses armes sur une clé de la voûte majestueuse de la cathédrale Sainte Cécile de la capitale albigeoise, au niveau de la dixième travée.

Photos J-L Calvignac

Ce sont probablement ses armes qui figurent aussi dans les peintures murales de l’église Notre-Dame du Bourg de Rabastens30, datées du premier tiers du 14e siècle. Les restaurations du 19e qui menèrent à repeindre les écus empêchent cependant d’être complètement affirmatif. Mais la présence de ce meuble noir en forme de pot dans un écartelé demeure un très bon indice d’identification.

Beraud aussi, avait écartelé les armes primitives de Fargues avec un symbole religieux ostensible mais sans rappeler les armes de sa mère, née de Got. Son écu peut être blasonné « écartelé d’argent à la croix de gueules et d’or au pot de sable »31.

Pour terminer notre inventaire, nous reviendrons à Villerouge-Termenès où un corbeau de l’ancienne chapelle du château conserve peut-être la trace des armoiries d’un autre membre du lignage de Fargues. Cette pierre, supportant une poutre sur la paroi nord de la chapelle, présente une sculpture de piètre qualité. On y voit un écu à pointe arrondie et pendu par une large guinche. Une bordure componée ou denticulée représente la partie la plus claire de l’écu. La lecture du champ s’avère moins facile. En effet, le canton supérieur dextre porte une gravure assez fruste de ce qui pourrait être le pot caractéristique des armoiries de Fargues. La partie senestre lézardée et rugueuse ne semble pas porter de trace de gravure à l’exception peut-être d’une croix simple au coin supérieur.

Nous sommes ici probablement en présence d’un écu portant les armoiries originelles de Fargues (présence du pot) brisées par une bordure32 que nous pensons plutôt componée si nous nous fions à la ligne de son bord intérieur qui semble continue. Nous savons que Bernard de Fargues entretenait, en plus des 80 personnes à son service, un certain nombre de membres de son lignage notés « de hiis de genere domini » dans les registres de comptabilité. B.Brouns rappelle à leur sujet qu’ils n’étaient pas traités comme des invités mais qu’ils étaient comme chez eux dans les résidences du prélat. Les registres de comptes gardent le souvenir des séjours longs et nombreux de ses frères et sœurs, comme Bertrand de Fargues, archidiacre du Fenouilledès ou encore de ses neveux et en particulier du jeune Amanieu de Budos33. On pourrait penser qu’une de ces personnalités ait pu financer une partie de l’aménagement de la chapelle castrale et avoir voulu y faire représenter ses armes. Le frère archidiacre, de par ses fonctions ecclésiastiques et sa proximité géographique pourrait répondre aux critères d’un tel mécénat.

Épilogue.

Malgré le travail de recherche admirable de Benoît Brouns, il sera difficile de trouver dans la biographie de Bernard de Fargues l’épisode qui put le mener à perdre à quelques centaines de mètres de distance, tout près de Monflanquin d’Agenais, deux vervelles du harnais de son cheval ou d’un autre animal de son équipage34. Les quelques documents administratifs conservés ont permis à cet auteur d’établir avec peine un emploi du temps lacunaire pour les années de 1334 à 134135. Dans ces registres, nous voyons que le prélat, en plus de ses visites habituelles à l’intérieur de son diocèse, voyageait régulièrement « en France » (en février 1334 puis de juillet à novembre de la même année), à Agen (Agen, 47 ; en avril 1339) ou encore en Quercy (Cahors, 46 – de mars à mai 1340 et Montauban, 82 – en juin et juillet suivants).

L’hypothèse la plus sérieuse serait que Bernard de Fargues ait pu avoir perdu ces objets au moment d’une visite à sa sœur Jeanne ou à son neveu Raimond-Bernard de Balenx, seigneur de Gavaudun (Gavaudun, 47). En effet, cette localité se situe à seulement 6 kilomètres à l’est de la commune de Monflanquin. Son voyage en Agenais du mois de mai au mois de septembre 133936 pourrait avoir été une occasion de visiter cette partie de la famille. L’indigence des sources nous empêche malgré tout de pouvoir dater exactement un tel événement.

Château de Gavaudun (Photo Nathalie Hardouin)

Ce qui est certain, c’est que la découverte fortuite d’objets armoriés, et en particulier de vervelles, permet d’aborder de façon originale l’histoire des personnages qui les ont possédés. Il est malheureusement bien dommage que la majorité de ces découvertes demeure condamnée trop souvent au silence de la clandestinité.

Olivier Daillut-Calvignac

  1. Fargues (33210), village situé à quelques km au sud-ouest de Langon en Bazadais.
  2. http://www.la-detection.com/dp/message-84000.htm
  3. BERTON (L.), « Les Vervelles – Petits objets armoriés du Moyen Age », in Détection Passion n°90, sept-oct 2010, pp.7 à 16., nos objets figurent à la page 10.
  4. B. Brouns, Bernard de Fargues 1311-1341 – Un archevêque de Narbonne contesté ?, in Bulletin du Comité Archéologique de Narbonne, Tome 50, 2000-2003, p.41-82.
  5. Fonds latin 17037 f°113, n°6762 d’après H.Bouchot, Inventaire des dessins exécutés pour Roger de Gaignières et conservés au Département des estampes et de manuscrits, 1891 et édité dans J. Adhémar e G. Dordor, Les tombeaux de la collection Gaignères à la Bibliothèque Nationale. Dessins d’archéologie du XVIIe siècle, in Gazette des Beaux-Arts, Ser.6, vol.88, 1976 n°726.
  6. La mention des armes de Fargues écartelées de celles de Goth figure au folio 66 d’un armorial conservé à la BNF sous la cote ms fr 5941 ; « Le seigneur Dantraingles d’or au pot cassé de gueulles, écartellé de mesme à 3 faces d’or » pour l’identification du nom Dantraingles, voir infra.
  7. R. Hyvert, « Les armoiries sur les édifices publics et privés (départements de l’Aude et de l’Hérault », Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1953, pp.323-341, Paris, 1956.
  8. G.Demay, Inventaire des sceaux de la Normandie, Paris, 1881, n°2251 e  M.Douët-d’Arcq, Collection de sceaux, Paris, 1863, n°6333.
  9. BOOS (E. de), « Armorial Le Breton. », Somogy éditions d’art, Paris, 2004.
  10. Idem p.15
  11. M.Popoff « L’armorial Le Breton » dans la Revue française d’héraldique et de Sigillographie, 33-35e année, 1981-1983, n°51-53, p.9, note 1.
  12. Comme on peut le voir à la page 20 qui commence la marche d’Île-de-France par l’écu du roi.
  13. B.Brouns, op cité p.44 et seq.
  14. Personnage déjà présent dans l’armorial au n°128 dans la première partie du 15e siècle.
  15. Ce pot pourrait être allusif si nous voulions le considérer plutôt comme une marmite, ustensile de fer forgé dans une forge (farga en occitan). Les représentations figurées avec une hanse haute sur les vitraux de la cathédrale de Narbonne pourraient en être un indice.
  16. Voir la généalogie en annexe.
  17. P.Adam-Even, L’armorial du héraut Navarre (partie inédite et corrections), Etudes d’héraldique médiévale, dans Nouvelle Revue d’héraldique, avril-juin 1947, p.49-68.
  18. On ne doit pas s’étonner de la présence de gascons dans la marche poitevine. En effet, entre les considérations d’ordre féodal (la Guyenne et le Poitou relevaient de la couronne d’Angleterre) et la connaissance toute relative des contrées « réputées étrangères » du sud du royaume par les hérauts du nord, l’étendue et les limites des marches d’armes pouvaient s’avérer bien floues.
  19. BOOS (E. de), « Armorial de Gilles Le Bouvier – Héraut Berry », Documents d’héraldique médiévale vol.7, éditions du Léopard d’or, 1995, p.119.
  20. La donation portait sur les seigneuries de Bédoin (84), Caromb (84), Entraigues, Loriol-du-Comtat (84), Monteux (84) et Sarrian (84) d’après L.Barthélémy, « Inventaire des chartes de la famille des Baux », suppl. n°39.
  21. Malgré une confiscation prononcée par le recteur Mathieu de Théate peu après 1299 mais qui fut soit temporaire, soit non effective. H.Dubled « Histoire du Comtat Venaissin. », éd. Marcel Petit, 1990, p.54.
  22. Ce surnom lui venait peut-être de son caractère considéré comme peut-être un peu piquant !
  23. C’est intéressant de constater ici que les domaines entrés dans le patrimoine d’une famille à l’occasion d’une dot, restaient souvent joints et pouvaient servir plus tard à doter à son tour une fille du lignage. La seigneurie de Loriol était déjà entrée dans les possessions de Raimond-Guilhem de Budos qui l’avait achetée quatre ans auparavant à Aymar de Poitiers, comte de Valentinois.
  24. La seigneurie de Budos (Budos, 33) située à cinq kilomètres à l’ouest de Fargues (Fargues, 33) relevait aussi du duché de Guyenne. Sur la famille de Budos voir J.-B. Elzière, « Histoire des Budos, seigneurs de Budos en Guyenne et de Portes-Bertrand en Languedoc. », Nimes, 1978. Sur Raimond-Guilhem et sa descendance, voir en particulier les pages 23 à 36.
  25. L’office de recteur dans le Comtat était de premier plan. Le recteur était le représentant principal du Pape et s’occupait de la gestion des domaines temporels du Saint Père. Voir à ce sujet Ch.Cottier, « Notes historiques concernant les recteurs du ci-devant Comté-Venaissin. », Carpentras, 1806 et H.Dubled, « Histoire du Comtat Venaissin, 1990, p.63 à 65.
  26. Elzière, op. cit. p.27.
  27. B.Brouns, op. cité p.55, nous apprend que les négociations avec le chapitre des chanoines de la cathédrale, qui tenait l’église Saint Etienne avant sa transformation en collégiale, furent longues. En plus de cela, Bernard de Fargues n’hésita pas à puiser dans sa fortune personnelle pour doter en domaines et en droits la nouvelle institution.
  28. Plusieurs prébendes de chanoine dans les chapitres de Beauvais, Lincoln (archidiaconé de Leicester), Soissons, Saint-Séverin de Bordeaux et Mende.
  29. Voir M.Popoff « Armorial des papes et des cardinaux », Le léopard d’or, 2016, n°273 (p.401).
  30. Voir Les grandes heures de Notre-Dame du Bourg de Rabastens, 2018.
  31. Christian de Mérindol, « Le programme héraldique du décor peint de la cathédrale Sainte-Cécile d’Albi. », in Revue française d’héraldique et de sigillographie, Tome 65, 1995, p.121 et seq. e Matthieu Desachy, « Au nord des Borgia. La famille Jouffroy et l’introduction de l’art italien de la Renaissance dans l’Albigeois. » in Le Commanditaire, l’artiste et l’œuvre, Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, 2014, p.161.
  32. La bordure componée représentait une façon très commune de briser les armes d’un lignage à cette époque.
  33. B.Brouns cite selon le registre de comptes des années 1334 à 1340, son frère Bertrand archidiacre de Fenouilledès déjà cité, sa sœur Dòna Congia et son frère Raimond et comme neveux, en plus d’Amanieu de Budos, nous rencontrons son frère Bertrand, tout comme Bertrand, Gaillard (évêque de Bazas) et Manolus de Fargues, Guilhem de Rama, Guilhem de Latran…
  34. Les vervelles équipaient surtout le harmais des montures (chevaux, mules) de la noblesse de l’époque mais nous savons qu’elles pouvaient être aussi attachées aux chiens et oiseaux de proie utilisés à la chasse.
  35. B.Brouns, op. cité p.88 à 92.
  36. B.Brouns, op. cité p.61.

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